La Chouannerie Lyonnaise

La “Chouannerie” Lyonnaise

 

I. Les débuts de la Révolution

 

I.1 Situation du Royaume de France en 1789

Elle est à l’opposée des idées reçues.

Le Royaume de France est un pays riche, opulent, où il fait bon vivre :
· économie en plein essor (commerce extérieur multiplié par quatre en 75 ans, mise en place d’un système capitaliste – banques, bourse, marché à terme -, apparition de gros industriels) ;
· services publics parmi les plus efficaces d’Europe (entretien des routes, service postal) ;
· amélioration de la situation matérielle de toute la population, et disparition totale des grandes famines ;
· absence du servage (qui subsiste presque partout en Europe) ;
· développement de la propriété paysanne (elle possède de 35 à 60% de la terre suivant les endroits) ;
· niveau d’imposition très faible (de l’ordre de 25% tout compris).

Résultat :
· une population nombreuse (deux fois plus d’habitants que l’Angleterre ou que la Prusse, autant que l’Allemagne et l’Autriche – Hongrie réunies) ;
· une nation puissante (les Révolutionnaires tiendront tête pendant 20 ans à toute l’Europe réunie) ;
· un Roi au faîte de sa gloire, qui a enfin réussit à vaincre sur mer l’Angleterre (c’est un facteur décisif du succès franco – américain dans la guerre d’Indépendance des Etats-Unis).
Le principal point noir reste le système d’imposition. Hérité de l’époque féodale, il est fortement inégal selon les régions, et donne lieux à de nombreux et interminables procès.

Les pouvoirs du Roi sont absolus en théorie, mais très limités en pratique :
· la France est composée d’un ensemble de provinces, de villes, de métiers, chacun ayant ses règles, ses droits et ses privilèges propres. Le Roi a le devoir de respecter ces particularités ;
· malgré le bon état des routes, les nouvelles les plus simples mettent plusieurs jours à circuler. Chaque intendant gère sa province au mieux, appliquant ou non les directives nationales, compte tenu des règles et usages locaux. Il traite en fait  » d’égal à égal  » avec les ministres de Paris ;
· à tous les échelons de la vie du pays, sont présents des tribunaux (Parlements, Cous des Compte, bailliages, sénéchaussées,…). Leurs membres possèdent leur charge et sont inamovibles. Leurs attributions sont autant juridiques que politiques, administratives et financière. Leurs contours est variables suivant les endroits et plus ou moins bien défini. Cela leur permet de contester à l’infini toute décision qui leur déplaît et qui n’est pas imposée par un exécutif ferme et décidé.

Dans ce Royaume riche, le Roi est pauvre :
· les prélèvements vont en partie à l’Eglise, au rôle social fondamental – école, hôpitaux,…-, mais aussi aux héritiers des anciens seigneurs. Nobles ou bourgeois, ceux-ci touchent d’anciens droits sans contrepartie réelle. C’est un véritable détournement de fond public ;
· les recettes royales viennent surtout d’un impôt sur les revenus du capital. Elles sont victimes d’une fraude énorme, que l’administration aux moyens limités ne peut que difficilement déjouer ;
· le coût des guerres continentales et maritimes grève le budget.

Deux grands problèmes se posent donc :
· comment abolir les vestiges de la féodalité ?
· comment rétablir les finances royales ?

 

I.2 Le conservatisme nobiliaire

La solution à ces deux problèmes passe par une remise à plat des droits et privilèges de chacun, et tout particulièrement de la noblesse. Mais la noblesse de robe bloque toute réforme, en s’appuyant sur les attributions, légitimes ou non, des Parlements et des Cours de Justice. La haute noblesse l’appuie, dans l’espoir de réduire les pouvoirs du Roi, et de rétablir les siens (supprimés par Louis XIV après la Fronde).
Cette opposition, qui dissimule des intérêts purement catégoriels, s’abrite derrière les idées de liberté et d’égalité, à la mode depuis le début du siècle.

En 1771, Louis XV, sentant qu’il n’est plus possible de différer, brise l’opposition parlementaire :
· suppression des Parlements aux attribution trop floues ;
· réforme des Cours de Justice (suppression de leur rôle politique, choix d’un personnel plus compétent) ;
· mise en place d’un impôt (le vingtième) payé par tous, y compris la noblesse.

A sa mort en 1774, Louis XVI lui succède. Se vantant de sa bonté, il manque de vision politique et d’énergie. Il cède aux pressions et rétablit les Parlements. Ceux-ci annulent aussitôt toutes les réformes. Incapable d’imposer de force se volonté, Louis XVI ne trouve pas d’autre issue que de convoquer les Etats Généraux.

 

I.3 La première Révolution

Les Privilégiés (grande noblesse et parlementaires, tous nobles) ont atteint leur objectif : remettre en cause le pouvoir royal ! Ils espéraient prendre sa place. Mais dès la réunion des états généraux, ils sont débordés par les révolutionnaires du Tiers Etats.

En quelques mois, les  » réalisations  » des révolutionnaires sont nombreuses :
· nuit du 4 Août 1789 : abolition des privilèges, qui sont supprimés ou rachetables ;
· 20 Août 1789 : Déclaration des Droits de l’Homme (liberté, sûreté, propriété, résistance à l’oppression) ;
· 22 Décembre 1789 : création des départements, dirigés par des  » élus locaux  » en l’absence de tout représentant du pouvoir central ;
· 12 Juillet 1790 : Constitution Civile du clergé, condamnée par Pie VI le 10 Mars 1791 ;
· 9 Juillet 1790 : vente aux particulier des biens du clergé, pour financer la Révolution ;
· 3 Septembre 1791 : vote de la Constitution, acceptée par Louis XVI le 14 Septembre, bien qu’elle ne lui laisse qu’un pouvoir très limité.

 

I.4 L’accueil fait par Lyon à la première Révolution

Les réalisations de la Révolution sont plutôt bien accueillies à Lyon, pour diverses raisons.
L’abolition des privilèges :
· supprime définitivement les vestiges de la féodalité ;
· laisse espérer une véritable réforme fiscale.
La création du département de Rhône et Loire (Lyonnais, Beaujolais et Forez) :
· conforte la primauté de Lyon sur sa région. C’est une victoire sans appel de Lyon dans la lutte séculaire qui opposait d’une part Lyon et ses archevêques, de l’autre le Forez et ses dauphins ;
· l’absence de représentant du pouvoir central permet une restauration d’un pouvoir communal autonome, pouvoir qui avait été supprimé par Henri IV.
La vente des biens nationaux :
· permet l’enrichissement de la bourgeoisie et de la paysannerie aisée. Ces biens sont en effet achetés en assignats, monnaie qui n’a aucune valeur. Ces biens ne coûte donc quasiment rien ;
· assure à la Révolution le soutien inconditionnel de ceux qui les achètent, qui ne veulent surtout pas que cet achat soit remis en cause.

 

II. L’insurrection lyonnaise

 

II.1 Forces politiques en présence

En 1791, avec le vote de la Constitution, les problèmes existants en 1789 sont réglés. Les objectifs de la Révolution sont atteints. Celle-ci peut s’arrêter. Mais les forces qui ont commencer à se déchaîner ne peuvent pas s’arrêter toutes seules, et une  » montée aux extrêmes  » s’enclenche : les Privilégiés qui menaient la fronde en 1788 ont été balayés par les Constitutionnels, qui soutiennent la Constitution et souhaitent la stabilisation de la situation. Les Constitutionnels sont débordés à gauche par les Jacobins, qui demandent la déchéance du Roi et l’établissement de la République.

Cette  » montée aux extrêmes  » est commune à toutes les grandes révolutions (France 1870 : chute du Second Empire, puis Commune de Paris ; Russie 1917 : remplacement de l’Empire Russe par un système parlementaire, qui est balayé par les Bolcheviks ; Allemagne 1918 : chute de l’Empire Allemand, établissement d’un régime parlementaire, révolution spartakiste). Pour interrompre la montée aux extrêmes, il faut que le gouvernement quitte les grandes villes prises en otages par la foule, mette sur pied une armée efficace, et écrase militairement les insurrections citadines (comme en 1971 à Paris, et en 1919 à Berlin).

La fuite de Louis XVI en Juin 1791 vers l’Est visait précisément, non à émigrer (le roi aurait pris la route du Nord et aurait réussit comme bien d’autres), mais à rejoindre l’armée réunie par Bouillé en Lorraine, afin de revenir en force mettre Paris au pas.
Le 17 Juillet 1791, peu avant le vote de la Constitution, un coup de force jacobin est brisé par l’armée à Paris. Mais les Constitutionnels n’osent pas aller jusqu’au bout en éliminant définitivement les Jacobins. Ils préfèrent déclencher la guerre extérieure, pour débloquer la situation politique intérieure. Le 10 Août 1792, une Commune insurrectionnelle, dirigée par les Jacobins, balaye les Constitutionnels et prend le pouvoir. Dans la nouvelle assemblée, la Convention, les Jacobins sont divisés entre Girondins, plutôt provinciaux et relativement modérés, et les Montagnards, surtout parisiens et extrémistes. Les Montagnards s’appuient sur la Commune de Paris (c’est pourquoi ils sont aussi appelés  » communistes « ), et imposent par la rue leur volonté :

· 21 Septembre 1792 : proclamation de la République ;
· 21 Janvier 1793 : exécution de Louis XVI ;
· 24 Février 1793 : levée de 300 000 hommes pour tenter de sauver les frontières.

 

II.2 Situation à Lyon

Cette situation se retrouve à Lyon. Le pouvoir y est réparti entre la commune de Lyon (actuelle mairie), et l’assemblée départementale. La commune est tenue par les Montagnards appuyées par les bas fonds de la ville, alors que le département est tenu par les Girondins.

Les uns comme les autres soutiennent les objectifs révolutionnaires, et ne régissent, ni à la mort du Roi, ni à la levée en masse. Alors que Lyon ne bouge pas, en Mars 1793, tout l’Ouest de la France (Vendée, Normandie et Bretagne) s’embrase contre la Révolution.

A Lyon, les Montagnards, dirigés par Chalier, souhaitent dresser une guillotine (qu’ils font venir de Paris), mettre en place un tribunal révolutionnaire (qu’ils contrôleront par la pression de la rue, comme à Paris), lever une armée locale (sous leur contrôle) en plus de la levée de 600 000 hommes décidée à Paris. Leurs initiatives sont combattues par les Girondins lyonnais, avec l’appui de délégués parisiens auxquels il a été fait appel. Chalier ne réussit qu’à établir un impôt révolutionnaire, fort impopulaire. Le reste est définitivement rejetée le 18 Mai 1793.

Chalier doit trouver une autre voie. Le pouvoir électif étant tenu par les sections locales qui couvrent tout le pays, il décide de profiter de la forte abstention usuelle pour les submerger de ses partisans, et leur faire voter les décisions qui l’arrangent.
Mais une mobilisation massive des Lyonnais fait échouer son plan. Le 29 Mai, les sections lyonnaises proclament leur attachement girondin. L’armée écrase les mouvements de rue des partisans de Chalier. Les combats font 43 morts et 115 blessés. La commune de Lyon est suspendue. De Paris, la Convention approuve l’opération.

Cependant, l’opération ratée par Chalier à Lyon réussit pleinement le 2 Juin 1793 à Paris. A l’appel des sections parisiennes noyautées, la populace des Sans-culottes éliminent les Girondins parisiens. Les Montagnards sont seuls au pouvoir à Paris, et créent un Comité de Salut Public, que domine Robespierre.

 

II.3 Lyon se soulève

La plus grande partie de la France (60 départements sur 83) refuse ce coup d’état, qui signifie un retour au centralisme parisien. Lyon, qui vient d’écraser les Montagnards, est en tête du mouvement.
Le 4 Juillet, Lyon proclame nuls les textes votés à Paris depuis l’élimination des Girondins, tout en réaffirmant son attachement aux principes issus de la Révolution (dont la constitution civile du clergé et la République). Le soulèvement lyonnais reste ainsi nettement différent des soulèvements vendéen, normand et breton, qui se battent pour Dieu et pour le Roi, et contre la Révolution.

Les soulèvements girondins, mouvements de révolutionnaires opposés à d’autres révolutionnaires, n’ont aucun soutien populaire et s’effondrent rapidement. A Lyon, au contraire, les Girondins prennent rapidement appui sur les Royalistes. Cela permet au mouvement de se développer. Il s’inscrit dans une stratégie royaliste d’ensemble : les troupes du royaume de Piedmont Sardaigne doivent forcer la passage des Alpes, et les Anglais débarqués à Toulon doivent appuyer les royalistes fortement implantés en Provence. Piémontais, Provençaux et Lyonnais, toutes forces réunis, pourront alors marcher sur Paris en liaison avec les Vendéens, les Normands et les Bretons.

Le 12 Juillet, la Commune de Paris demande à l’armée de marcher sur Lyon. En riposte, Chalier est condamné à mort et guillotiné (il inaugure la guillotine qu’il a lui-même fait venir à Lyon). Les Montagnards transforme Chalier en martyr. Son exécution radicalise les deux bords, et crée un fossé infranchissable.

II.4 L’isolement lyonnais

L’effondrement rapide des soulèvements girondins permet aux troupes révolutionnaires d’occuper la Drôme et l’Isère dès le mois de Juillet, coupant Lyon du Midi royaliste. Marseille est reprise par les révolutionnaires le 25 Août, mais Toulon tiendra jusqu’en Décembre.

Le 12 Août, un département de la Loire est créé. L’objectif est triple :
· semer la discorde entre Foréziens et Lyonnais ;
· raffermir l’attachement des Foréziens à Paris ;
· couper les contacts entre Lyon et les départements de l’Ouest via l’Auvergne.

Les Lyonnais ripostent en envoyant des détachements occuper la manufacture d’armes de Saint Etienne, et s’assurer du contrôle du reste du Forez. L’approvisionnement de Lyon reste assuré.

Sur le front des Alpes, les Piémontais font la première preuve de leur incapacité militaire (qui leur vaudra d’être écrasés en 15 jours par Napoléon en 1796). Au lieu d’une attaque massive par une seule vallée alpine pour submerger les défenseurs révolutionnaires, il lance des attaques timides dans chaque vallée, et ne progressent guère. Dès la fin Août, leur offensive tourne court.

Lyon se retrouve ainsi acculé à se défendre avec ses seules forces. Les espoirs de secours extérieur sont réduits à néant.

 

III. Combats, répression, reconstruction

 

III.1 Le siège de Lyon

 

Nota : suivant les sources, la chronologie détaillée du siège de Lyon est assez variable. Les dates ci-dessous sont donc données sous toutes réserves.

La défense de Lyon est assuré par le comte Perrin de Précy. Ancien colonel de l’armée royale, il a participé à la défense des Tuileries contre les révolutionnaires en 1792. Il réussit à mobiliser 9.600 hommes, et fait pousser à toute force les travaux de retranchements de la ville.
En face, Dubois-Crancé, représentant du Comité de Salut Public, aligne d’abord 20.000 hommes. Il ne prend pas le soulèvement lyonnais très au sérieux. Après un bombardement d’intimidation, le 10 Août, il pense s’emparer de la ville par un assaut rapide. Mais le 15 Août, celui-ci échoue face aux défenses de Vaise. Il estime alors ne pas avoir assez d’hommes pour prendre la ville, d’autant plus que les Piémontais se font menaçant sur les Alpes. Il se contente donc de poursuivre les travaux d’investissement de la ville, sans grand combat.

Pour hâter l’écrasement de Lyon, le Comité de Salut Public remplace Dubois-Crancé par Couthon. Celui-ci déclenche des bombardements massifs à partir du 22 Août. 44.000 boulets seront tirés sur la ville d’ici à la fin du siège, soit prêt de 1.000 par jours. Les boulets sont chauffés à rouge avant le tir, pour incendier les bâtiments. Et effectivement, dans les premiers jours du bombardement, d’immenses incendies ravagent une partie de Lyon.
Pour limiter les risques d’incendie, Précy organise une défense passive qui mobilise jusqu’à 30.000 Lyonnais : lutte contre les incendies, dépose préventive des boiseries et du mobilier dans les immeubles les plus menacés, mise en place de réserves d’eau à travers toute la ville. Grâce à cela, le bombardement qui continue a bien moins d’effets.

Un assaut est lancé le 24 Août. Après de furieux corps-à-corps, deux des redoutes qui défendent la Croix Rousse sont prises par les révolutionnaires. Mais la défense n’est qu’à peine entamée. Couthon doit renoncer à son tour à prendre la ville d’assaut.
Il reprend la stratégie d’encerclement. Le 9 Septembre, il s’empare de Montbrison, coupant l’arrivée de vivres en provenance du Forez. Dès le 10, le pain est fortement rationné en ville. Le 17 Septembre, Lyon est totalement encerclée. Plus aucun ravitaillement ne passe. Les défenseurs de Lyon s’affaiblissent, mais persistent à refuser toute reddition, et multiplient les sorties offensives.

Dans le même temps, Couthon mobilise un maximum d’hommes dans les régions environnantes, et récupère une partie de l’Armée des Alpes grâce au retrait des Piémontais. Il peut désormais aligner plus de 50.000 hommes, et les combats s’intensifient.
Sur la Croix Rousse, la redoute Neyrac est perdue par les Lyonnais dans la nuit du 15 au 16 Septembre. Une formidable contre attaque des Lyonnais échouent à la reprendre. Le château de la Duchère, à Vaise, tombe à son tour le 18.
Couthon lance un assaut massif le 29 Septembre. Il tente de submerger les défenseurs en attaquant sur presque tout le front. Les combats sont acharnés. Les révolutionnaires s’emparent de Sainte Foy et de Perrache, mais ils échouent à forcer l’ultime ligne de défense. Lyon tient toujours.

Cependant, le nombre des combattants lyonnais s’amenuise au fil des combats, et ceux qui restent sont à bout de force. Dans les jours qui suivent, les révolutionnaires progressent lentement, grignotant les positions lyonnaises. Le 8 Octobre, la chute de Saint Irénée rend la situation désespérée. Il n’est plus possible d’empêcher l’entrée des révolutionnaires dans la ville. Lyon doit se résoudre à capituler.

Le 9 Octobre, pendant que les forces révolutionnaires occupent la ville, Précy réussit une percée avec les 2.000 derniers combattants. Ils s’échappent à travers les Monts d’or pus les Monts du Lyonnais. Mais, poursuivis par les forces révolutionnaires, harcelés par les villageois, ils sont massacrés les uns après les autres. Précy ne sauve qu’une cinquantaine d’hommes.

 

III.2 “Lyon n’est plus”

Le 12 Octobre, le Comité de Salut Public publie un décret qui, entre autres :
· renomme la ville de Lyon  » Commune Affranchie  » ;
· affirme (article V) : il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne qui attestera à la postérité les crimes et la punition des royalistes de cette ville, avec cette inscription  » Lyon fit la guerre à la liberté. Lyon n’est plus.

Couthon commence à exécuter ce programme, qui comporte deux aspects :
· la poursuite et l’exécution de tous les opposants au Comité de Salut Public ;
· la destruction des bâtiments.

Sur ces deux points, les ardeurs des révolutionnaires vont être freinées par des problèmes bassement matériel : cela prend du temps, et cela coûte cher. De plus, Couthon est un modéré, qui parle plus qu’il n’agit. Il limite les destructions d’immeubles aux façades de la place Bellecour, symbole de l’aristocratie lyonnaise. Pour les exécutions, il crée des tribunaux d’exception, un civil et un militaire, mais applique les procédures normales de droit. En deux mois, 212 personnes sont condamnées à mort et exécutées. Cependant, la moitié des accusés sont innocentés.

Pour le Comité de Salut Public, tout cela est bien tiède. Le 30 Octobre, Couthon est remplacé par Collot d’Herbois et par Fouché. Collot d’Herbois ne restera qu’un mois, et c’est Fouché qui sera le véritable responsable de l’application du décret du 12 Octobre. Fouché, farouche adversaire de la religion, marque son arrivée par une cérémonie à la mémoire de Cholier, le 8 Novembre. Cette cérémonie, qui se veut le symbole de l’athéisme triomphant, est surnommée  » fête de l’Ane  » par les Lyonnais…

En ce qui concerne les immeubles, Fouché poursuit la destruction des façades de Bellecour, fait raser les maisons partiellement ruinés lors des combats, et entreprend la destruction des remparts de Lyon (Novembre et Décembre). Pour la suite du programme de destruction, une liste de bâtiments  » contre révolutionnaires  » est établie, regroupant églises et maisons nobles. Mais les pouvoirs locaux, sous prétexte d’efficacité et d’intérêt national, concentrent les destructions sur les bords de Saône. Il s’agit d’améliorer les grands axes routiers qui traversent la ville, pour des motifs soit disant stratégiques, mais en fait afin de préparer l’expansion future de Lyon. Au final, 1.600 immeubles ont été détruits pendant le siège, et 6.000 après.

 

III.3 Fouché et les massacres

Pour les exécutions, Fouché crée un tribunal révolutionnaire formé de 5 juges, et qui ne s’embarrasse pas des règles de droit. Les suspects sont arrêtés sur simple dénonciation. Il peut s’agir aussi bien de la participation aux combats, que d’opinions contraires aux principes révolutionnaires, ou que la simple affirmation de sa foi catholique. Aucune enquête n’est effectuée. Lors de la comparution devant le tribunal, un rapide interrogatoire a lieu (identité du suspect, attitude pendant le siège, opinion sur la Révolution, convictions religieuses). La sentence est décidée en quelques minutes, et est immédiatement applicable. En général, c’est la peine de mort.
Les exécutions se font normalement à l’aide de la guillotine, installée place des Terreaux. Mais elle ne va pas assez vite, et des fusillades massives sont ordonnées. Les premières ont lieu à Bellecour et aux Terreaux. Des balles perdues menaçant la population, elles se poursuivent aux Brotteaux, qui n’est alors qu’une lande inhabitée. Pour  » l’inauguration  » des Brotteaux, le 4 Décembre, 60 Lyonnais sont rassemblés sur une levée de terre, et massacrés par des boulets tirés par trois canons. Les rescapés sont achevés à coup de sabre. L’inexpérience des soldats fait que la boucherie dure deux heures.
Le principal massacre a lieu le 5 Décembre. 208 Lyonnais sont attachés quatre par quatre à des arbres. Ils sont fusillés à bout portant par les soldats, qui doivent s’y reprendre à trois fois. Comme toutes les victimes ne sont pas mortes, les suppliciés sont lardés de coup de bayonnette. Les corps sont enterrés le lendemain. Certains malheureux respirent encore, et sont achevés à coup de pelles et de pioches.
Jusqu’au 21 Décembre, 6 autres exécutions collectives ont lieu, de plus 40 à 50 personnes à chaque fois.
Dans le même temps, 100 personnes sont guillotinées aux Terreaux.

Les massacres se continuent en 1794. Au total, de Novembre 1793 à Avril 1794, c’est 1604 personnes qui sont ainsi massacrées par Fouché, soit environs 300 personnes par mois.

Cependant, Fouché n’est pas un doctrinaire, mais un opportuniste. Envoyé à Lyon pour réaliser une épuration sanglante, il applique ses ordres sans états d’âme. Il n’hésite néanmoins pas à protéger certaines personnes, pour se faire un réseau de relations. Surtout, lorsqu’il sent que le vent commence à tourner et que la France se lasse des massacres, il interrompt les exécutions. Il est vivement rappelé à l’ordre par Robespierre et les extrémistes lyonnais (qui se nomment  » les Amis de Chalier « ). A Lyon, Fouché neutralise sans difficulté les Amis de Chalier. Le danger parisien est plus sérieux. Pour éviter d’être épuré (comme Danton et bien d’autres), il organise l’opposition à Robespierre, et est un des principaux artisans de sa chute en Juillet (Thermidor). Fouché profitera de sa position bien assise après Thermidor pour faire porter le chapeau des massacres lyonnais à Collot d’Herbois, et ira jusqu’à réclamer la punition des auteurs des massacres …. massacres qu’il a lui-même dirigés !

Si la modération finale de Fouché a évité plusieurs mois de massacres supplémentaires, le bilan est lourd pour Lyon : 2.816 personnes en huit mois, à comparer aux 2.747 Parisiens exécutés en deux ans.
Il faut noter que la population de Lyon est estimée à 100.000 habitants début 1793, et à 80.000 fin 1794.

 

III.4 La fin de la Révolution

La différence de vue entre Fouché et Robespierre sur la poursuite des massacres à Lyon a ainsi fortement hâté la chute de Robespierre et la fin de la Terreur.
A Lyon, la situation se normalise petit à petit. Le 7 Octobre 1794, la ville reprend son nom en remplacement de Commune Affranchie. Le 25 Mai 1795, un mausolée est inauguré aux Brotteaux, sur les lieux même des massacres. En 1799, Bonaparte ordonne de relever les façades de la place Bellecour.

Quand la Restauration aura enfin lieu, fermant le cycle révolutionnaire, la France est un état affaibli, passé au second plan sur la scène internationale, et fortement réduit au plan démographique.

Dès le retour du Roi, il est décidé de construire une chapelle aux Brotteaux, à la place du mausolée. Le projet est retardé par les Cent Jours. Les travaux débute dès le départ définitif de Napoléon, et la chapelle est ouverte au culte en 1819. En 1886, dans le cadre de l’extension de Lyon dans le secteur des Brotteaux, la municipalité lyonnaise décide de raser la chapelle. Les Lyonnais se mobilisent en masse pour la protéger. Après de longue négociations, une accord est trouvé en 1897. Il prévoit de bâtir une nouvelle église avant d’abattre la chapelle. L’église actuelle est bénie le 2 Août 1906.

Le souvenir des martyrs de 1793 reste vivace dans le cœur des Lyonnais. Contrairement aux souhaits de Robespierre, Lyon n’a pas été détruite. Elle est toujours la seconde ville de France, et les Lyonnais restent prêts à défendre les idées auxquelles ils croient, même si elles ne sont pas majoritaires dans le pays.

 

IV. Bibliographie sommaire

 

Ouvrage général sur la Révolution :

La Révolution Française de Pierre Gaxotte (Librairie Arthème Fayard, 1975)

Ouvrages sur les événements lyonnais :

Nota : il s’agit des principaux ouvrages utilisés. Ils peuvent être consultés à la bibliothèque de la Part Dieu.

Lyon pendant la Révolution d’Albert Champdor (Librairie Albert Guillot, 1983)

Lyon 1793, révolte et écrasement de Jean Etevenaux (Edition Horvath, 1993)

Lyon n’est plus (quatre tomes) d’Edouard Herriot (Librairie Hachette, 1937)

1793, l’année terrible à Lyon, ouvrage collectif (ACROM 1997)
Ville de Lyon, Musée de l’Imprimerie et de la Banque, Exposition réalisée par la commission d’histoire de l’association Rhône 89, 1993.

 

Ouvrage sur le monument des Brotteaux :

Le monument religieux des Brotteaux (Editions LUGD)
tome I, par André de Feydeau de Saint Christophe, 1989
tome II, par François-Régis Cottin, 1990

Sur la personnalité de Fouqué :

Le-souper

Film Le Souper (Français) 1993.
Drame historique réalisé par Édouard Molinaro.
Avec Claude Rich, Claude Brasseur et Yann Collette.

Amaury de V.
Conférence du 19 avril 2001.

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