La querelle des Universaux

La Querelle des Universaux

Ou de la distinction entre nominalisme et idéalisme et de la solution qui s’offre à nous : le réalisme philosophique.

Pendant trois siècles, aux alentour du XI°, les philosophes et les théologiens du Moyen Âge se sont affrontés sur ce que l’on a appelé le problème des universaux. L’objet de cette querelle est le suivant : le terme homme peut-il être attribué à plusieurs sujets, et renvoi-il à une autre réalité, à une idée générale, autrement dit une idée universelle ?

Trois écoles ont disputé sur ce point, chacune selon une perspective distincte :

– Les premiers, sont les réalistes que l’on nommera les idéalistes, pour plus de commodité et afin de ne pas confondre les trois parties de ce litige philosophique. La racine du mot signifiant bien ce qu’elle veut dire, les idéalistes attachent une plus grande importance et même la plus grande importance à la connaissance intellectuelle. (Platon, saint Anselme, Hegel …) – Viennent ensuite les nominalistes, qui n’admettent rien en dehors du sensible et de la connaissance qui en découle. (Roscelin, Marx, Feuerbach…) – Enfin, l’école qui est venue mettre un terme à des débats stériles et qui ne prenaient pas en compte la totalité des facteurs : le réalisme philosophique autrefois nommé conceptualisme. (saint Thomas d’Aquin, Abélard…)

Pie XI, pape de 1922 à 1939, disait de notre époque : «  et le monde va très mal parce qu’on n’y sait plus rien des universaux. « Problème fondamental avons nous dit et qui nécessite une étude approfondie des rapports entre contingent et nécessaire, accidentel et essentiel, particulier et universel.


1. Nature de l’homme et Vérité en politique :

L‘homme n’est pas seulement un animal social en ce qu’il vit en groupe et en communauté ; dans le cadre d’une société mais il est aussi un animal politique. En effet, si l’animal vit en société, comme l’homme, seul ce dernier est capable d’agir sur les structures dans lesquelles il vit : ainsi des lois, des normes morales… La conséquence que nous devons en tirer est la suivante : l’homme vit dans une société politique et est logiquement un animal politique. La politique est moins la liberté relative (en ce qu’elle est n’est pas débridée) de disposition des choses de la cité c’est à dire de la société. Si la politique (qui, rappelons le, est ce qui est relatif à la ville, étymologiquement ) a un caractère de liberté, comment l’étudier puisque toute science présuppose dans son objet un déterminisme, des constantes servant de point de repère et de fondement à l’étude. Or la liberté est justement cette capacité de changer les choses, de modifier le court des décisions. Sur quoi doit on alors distinguer le nécessaire du contingent, l’obligatoire de ce qui ne l’est pas, de ce que l’on ne peut pas changer sans danger pour la cité, et par conséquent pour l’homme ; puisque c’est l’homme qui compose la société ? Se pose alors le problème de l’existence d’une vérité en politique. Les doctrines les plus opposées, les théories les plus opposée au sens commun ont leurs apôtres : qu’il s’agisse de la négation du réel ou le refus de croire à la possibilité de la connaissance, la défense d’une liberté anarchique ou déterminisme absolu des actes humains, fixisme ou évolutionnisme… Il n’y pas de notion aussi peu considérée que celle de Vérité. En existe seulement une et à plus forte raison en politique ? N’allons surtout pas nous identifier à Pilate qui, à sa question  » Quid es veritas  » (qu’est ce que la vérité ?) refusa d’en entendre la réponse parce que sans doute celle-ci aurait été par trop dérangeante. Il n’existe pas en notre monde de possibilité d’une quelconque et bienveillante neutralité ou lâcheté ; la vérité nécessite un apprentissage long, et difficile, parce que nous serons les seuls à le mener. » Une société n’est dûment ordonnée, bienfaisante, respectueuse de la personne humaine, que si elle se fonde sur la Vérité  » nous dit Jean XXIII dans Pacem in terris ; s’il n’est pas de Vérité immuable il ne sert de rien de lutter pour quelque cause que se soit puisque aucune ne pourra prétendre être meilleure que sa concurrente.

2. La querelle des universaux :

Les scholastiques du XIème et XIIème firent une œuvre utile en s’attaquant à cette question qui lie toutes les questions capitales de la philosophie et de la métaphysique. Prenons un exemple simple qui nous fera comprendre la portée du problème des universaux : «  Quand je parle de l’Homme au singulier et en général, parles-je d’un objet existant en soi ? Ou bien ce qui compte en réalité n’est-ce pas les hommes, une multitude d’individus, tous divers, mais ayant entre eux une certaine somme de ressemblances dont mon esprit s’autorise pour les grouper tous ensemble sous un unique concept, une commune dénomination qui enveloppe à la fois Racine et le dernier des crétins, le bel Antinoüs et le plus difforme des nabots  » (P. Lasserre), Un conflit religieux au XIIème siècle. Le problème peut simplement se résumer à la nature même de la connaissance humaine : Connaissance à deux degrés, connaissance sensible du monde matériel en perpétuel changement et connaissance intellectuelle des idées et concepts marqués par un caractère de permanence et d’universalité. Opposition entre le durable ( l’idée) et l’éphémère (la chose), l’intemporel et le temporel.

Le nominalisme, une révolution permanente.

A la question : quelle valeur accorder au caractère perdurable et universel de nos idées ? Le nominaliste répond par un refus de croire à leur réalité. Les idées n’ont qu’une valeur de signe, de nom d’où le nominalisme. L’intelligence et la raison n’ont plus alors qu’une valeur pragmatique utilitaire. L’intelligence crée ainsi des catégories en tranchant le réel, procédé commode certes, mais qui ne recelle aucune part de vérité. La conséquence de tout cela est la tendance au sensualisme et au matérialisme du nominalisme. Tendance inévitable, puisque pour lui, la donnée sensible est la plus rigoureuse manifestation du réel et nos sens le moyen de la connaissance plus sur que la raison qui classe ce qui par nature est fluctuant. Opposition du fixisme de la raison à l’évolutionnisme des sens. Sur le plan religieux, refus de tout assentiment de l’intelligence à des enseignements dogmatiques ( » point de doctrine fondamentale « ) pas d’essence de caractère général et universel. La Foi devient alors un vague sens religieux issu des profondeurs de l’inconscient et éminemment sentimentaliste. Plus concrètement, plusieurs déviances sont à pointer du doigt :

– Le vitalisme qui préfère la  » vie  » aux irréelles abstractions fabriquées par l’intelligence :  » La Foi n’est plus l’adhésion de l’esprit à la Vérité révélée, mais le don de soi au Christ  » évêque de Bourges (1957).

– Le modernisme repousse toute affirmation tendant à faire croire à une Vérité universelle. Les affirmations nettes le rebutent en ce qu’elles n’expriment pas un réel fluctuant par nature. La Vérité n’EST pas, elle se fait, elle est le fruit d’une recherche permanente et n’est atteinte qu’épisodiquement. L’expérience,  » le vécu « , le témoignage sont ainsi plébiscités par les apôtres de cette perpétuelle nouveauté qui refusent tout enseignement traditionnel justement parce qu’il est traditionnel.

Les conséquences sociales et morales sont le rejet du manichéisme bien/mal, et aussi de toute morale principielle. La morale se construit en fonction des situations et des exigences de chaque milieu de vie. Ainsi l’état d’homosexuel se justifiera pour lui par les contraintes des milieux de vie, leur dureté, la solidarité, ou par la sainte horreur inspirée aux femmes par ces hommes ! Ce que l’on peut comprendre sans doute ! Toute idée d’Ordre (avec un grand O) est insupportable puisque ne valent que les ordres particuliers. En revanche le mouvement, le devenir, l’évolution sont séduisant aux yeux du nominaliste :
• évolutionnisme
• sens de l’histoire
• Révolution permanente.
Politiquement, puisqu’il n’y a pas d’Homme, il ne peut y avoir d’Ordre Humain, ainsi en est-il de la conception marxiste du pouvoir  » Marx n’invoque pas la nature humaine. Il ne connaît pas d’institutions sociales qui ou bien correspondent, ou bien ne correspondent pas à cette dernière  » Plekhanov (Les questions fondamentales du Marxisme). Et Marx dans La misère de la philosophie nous adresse cette critique de Proudhon  » M. Proudhon ignore que l’histoire entière n’est pas autre chose qu’une modification constante de la nature humaine.  » Ainsi, puisqu’il n’existe pas d’Ordre Universel, il n’y a pas de nature humaine, chacun est libre de concevoir son plan de réorganisation de la cité. Il n’est pas de barrière à l’imagination, mais aussi à la folie créatrice des hommes. Dans ces conditions, autant s’en remettre à l’avis du plus grand nombre, de l’opinion. Ainsi les risques de discorde sont les plus limités. A moins qu’allant au bout de cette logique, les sociétés passent sous la coupe de ces nouveaux maîtres qui changeront le monde ainsi que l’a préconisé Lénine. Qui sont les nominalistes : Héraclite, Roscelin, Rousseau, Marx, Engels, Feuerbach et aujourd’hui Sartre (L’Etre et le Néant).

L’idéalisme un refus du réel

Cette philosophie présente des perspectives attirantes pour de nombreux penseurs depuis l’Antiquité. Elle considère que si la matière se modifie perpétuellement, elle est comme un reflet des idées intelligibles. Ainsi sont considérées les essences des choses. L’essence est ce qui est essentiel à un être, ce qui fait qu’il est ce qu’il est quelques soient ces caractères particuliers. Il y aurait alors une idée éternelle de la rose : les roses naissent et meurent mais l’essence de la rose reste toujours la même. Cette philosophie repose sur l’interrogation : quelle valeur accorder à ce qui passe ? Qu’importe en effet cette réalité sensible, instable au regard de la réalité commandée par l’intelligence. A la question qui nous intéresse : quelle valeur devons nous accorder au caractère universel et perdurable des idées ( générales) ? L’idéalisme répond en affirmant qu’elles désignent le réel, mais un réel plus réel que la forme sensible et singulière, contingente et mouvante. Pour certains il n’est même de réel que l’idée, c’est le cas d’Hegel. Exclusivement attaché au général et à l’universel, l’idéalisme méconnaît l’ordre des cas particuliers, des exceptions permanentes. Ainsi quoi d’étonnant qu’il soit si souvent le bourreau de l’individuel et du personnel. Déconnectés du monde sensible et du matériel, l’intelligence et la raison s’enivrent d’elles-mêmes, généralisent et universalisent à tort et à travers puisqu’il n’y a pas les limites imposées par la matière. Frénésie logique, folie rationaliste en sont les conséquences, planification irréaliste le résultat. S’il légifère, c’est pour le monde entier : la DDHC est son œuvre, le refus des particularismes entraîne le centralisme étatique. Le jacobinisme en est un exemple spectaculaire. La vocation de l’idéalisme est même à l’internationalisme fruit de l’abstraction humaine. C’est L’ère des organisateurs de James Burnham. L’ère des technocrates planétaires des diverses internationales : juives, maçonniques, communistes ou libérales. Le prix de l’idéalisme politique est la dépersonnalisation, le déracinement et pour ceux qui refusent cet avenir : La guillotine, les camps de concentration, les lavages de cerveaux.  » Nous ferons un cimetière de la France plutôt que ne pas la régénérer à notre manière  » Carrier. Kant Mieux vaut que les hommes meurent que de voir l’échec du plan idéal conçu. C’est en cela que l’idéalisme rejoint le nominalisme et lui fournit ce qu’il ne demande qu’à accepter : un projet d’organisation sociale et politique.
Ayant désagrégé cet ordre et ces lois qu’il refuse de voir dans le réel intelligible, le nominalisme ne peut que subir le joug d’une raison raisonnante, d’autant plus féroce qu’elle est désincarnée.
 » Pour rendre le peuple heureux, il faut le renouveler, changer ses idées, changer ses lois, changer ses mœurs, changer les choses, tout détruire, oui tout détruire, puisque tout est à créer » Proposition nominaliste mais dont la chute est planificatrice, invitation lancée à l’idéalisme.

3. Le réalisme philosophique : une solution juste et de bon sens

Nous l’avons vu, nominalisme et idéalisme sont deux doctrines qui ne sont et ne pourront jamais être satisfaisante. Pourquoi ? Simplement parce qu’il s’agit de deux monisme c’est à dire de deux doctrines qui ne prennent en compte qu’une part donnée du problème à résoudre à chaque fois et sont par conséquent dans l’impossibilité et l’incapacité d’expliquer l’unité harmonieuse de l’ensemble. Le nominalisme, en ce qu’il refuse d’admettre comme réellement fondées les distinctions universelles de notre intelligence, et en ne voulant tenir pour vrai que le mouvement et la diversité, est irrecevable. Le changement en effet n’est pas le tout de ce qui change, c’est à dire que ce qui change demeurent en soi ce qu’il est : De l’enfant à l’adulte, l’homme reste un homme. Et tout ce qui évolue ne change pas de façon anarchique ; même le mouvement est soumis à un ordre en définitive. Car il y a un ordre et la notion même du désordre que nous avons en est une preuve par l’absurde frappante. De la même manière, l’idéalisme ne peut être accepté parce qu’il s’agit d’un système au regard duquel s’estompent ou disparaissent la merveilleuse diversité des être et des choses, leur transformation, leur naissance et leur disparition.Si l’idée de la rose est séparée de la rose sensible, celle que nous observons que nous sentons, qu’est ce que la rose que nous voyons ? Une ombre de l’idée ou une réalité véritable ? Si leur essence leur est extérieure, elles n’ont de rose que le nom. Mais la rose ne saurait être séparée de toute matière sans quoi elle n’a pas d’existence (Platon affirme quand à lui l’inverse). Kant, et après lui Bondel affirmerons qu’il suffit que la pensée s’accorde avec elle-même mais c’est là la porte ouverte à la cogitation désincarnée ; comme si la connaissance n’était que la réflexion sur notre propre pensée ! C’est une absurdité radicale ; en effet la réflexion ne saurait être le premier acte de la connaissance. La réponse du Réalisme philosophique que nous nommons aussi réalisme chrétien parce qu’il reflète la position de l’Eglise, est une réponse de bon sens que nous pouvons résumer en ces termes : LA SAISIE DE L’INTELLIGIBLE DANS LE SENSIBLE , TELLE APPARAIT DONC LA GRANDE LOI DE NOTRE CONNAISSANCE. Sens et intelligence s’y trouve ordonnés dans une hiérarchie rigoureuse et l’intelligence y montre sa place : celle de faculté suprême et spécifique de l’animal humain, ce par quoi il est supérieur aux autres animaux. L’intelligence qui viendrait du latin  » intus-legere  » lire au dedans signifie une certaine connaissance intime : lorsque les sens sont cantonnés à une connaissance extérieure, la connaissance intellectuelle pénètre au fond des choses jusqu’à leur essence. Passage donc du sensible à l’intellectuel, et par là du matériel à l’immatériel du singulier à l’universel.
C ‘est le passage de l’image à l’idée ! L’intelligence distingue, fort sagement d’ailleurs dans tout être son essence et son existence particulière d’individu. Essence que l’on ne peut nier (nominalistes) sans nier toutes les espèces animales, minérales… Existence particulière que l’on ne saurait nier non plus parce qu’il s’agit d’une réalité et non d’une illusion des sens et l’universel n’existe que dans le particulier : la rose n’existe que dans chaque rose prise individuellement. En conclusion nous pourrons considérer que si ces observations paraissent fort éloignées de la politique il n’ en est rien en réalité parce que toute réflexion idéologique prend pour principe au moins une part d’idéalisme ou de nominalisme, exemple : selon la plus rigoureuse logique marxiste les inculpés pourraient répondre à leurs juges qu’ils ont considérablement changé depuis leur arrestation : ils ont maigri ont les traits tirés… dés lors ils ne sont plus les même ; ils ne sont donc plus eux-même… En ce cas pourquoi poursuivre et punir des hommes qui sont devenus  » différents « . ET le fait est que si le changement est vraiment le tout de ce qui change, il est impossible de punir aujourd’hui le criminel d’il y à six semaines ou six mois, puisque, ayant changé, il n’est plus lui-même.

Conférence du 4 octobre 2001.
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