Le contrat social de Rousseau

Le Contrat Social selon Rousseau

Partons du Postulat que Dieu existe, cela simplifie notre travail, d’autant plus que cela ne relève pas directement de notre propos et que les auteurs dont nous allons parler ne remettent pas en cause ce principe. Le postulat dont nous allons partir et discuter ici porte sur la nature de la société ainsi que sur l’ordre qui doit présider à son organisation et à sa mise en œuvre. Dans quel but la société existe-elle, quels sont ses fondements, quelle doit être sa forme ? sont autant de question que nous devons nous poser afin de comprendre l’importance de cette notion ô combien ignorée et aux conséquences pourtant gravissimes.

Qu’est ce que la société ? La définition que l’on peut en donner est a peu près la suivante :
C’est une union morale et stable de plusieurs personnes pour un bien commun, exigeant la collaboration de tous et la subordination de tous à ce bien commun. Les personnes faisant partie de la société sont les parties d’un tout auquel elles sont subordonnées (cela ne vaut que pour la définition donnée par la doctrine sociale de l’Eglise.).

La question de son origine est essentielle parce que d’elle dépend la vision de l’ordre humain et de l’organisation de la vie en groupe, de l’Etat et de la hiérarchie entre les hommes. Son origine peut être conventionnelle ou naturelle aussi bien dans la forme historique que la forme institutionnelle et les différences existant entre ces deux fondements sont importantes et ont des conséquences considérables, à court comme à moyen et long terme sur la conception de la vie et de la hiérarchie dans la société, de l’ordre et de la nature du bien et du mal en politique.

I. Le contractualisme :

Cette théorie date de Hobbes et Locke ; ce sont eux les principaux théoriciens de ce concept repris par Rousseau, avec des différences nettement marquées sur la manière dont ce contrat né et s’organise. Il s’agit principalement d’un accord volontaire de l’individus qui marque le point de départ de la société et de la souveraineté et de fait, de la vie en commun.

La conséquence de cette vision est que l’homme est vu comme logiquement et ontologiquement associable et la société comme étant postérieure à l’homme ; celui-ci pré existe à la vie en communauté. Une autre conséquence de cette conception est que l’autorité trouve son fondement dans le consentement de la multitude. La légitimité de l’autorité et de toute autorité ne peut venir que de cet assentiment.

Enfin, la finalité de la société est uniquement de concourir à la sécurité de l’individu et à la préservation de sa liberté plus quelques autre fonctions fondamentales qui découle de la même logique : armée pour protéger la population des menaces extérieures, police pour le maintien de la paix intérieure…Le but de la société est uniquement réduit au service de la finalité propre à l’individu. Elle n’a qu’une fonction instrumentale, et l’idée de bien commun doit dés lors être soit redéfinie soit abolie puisqu’elle n’incarne rien dans une société fondée sur l’intérêt et le bien propre des chaque individu pris isolement.

Les deux branches du contractualisme :

Le contractualisme développe une vision mécanique de la société et non une vision organique de celle-ci comme le fait la doctrine sociale de l’Eglise ainsi que la loi naturelle, laquelle est inscrite au cœur de chaque personne. Parler de vision mécanique revient à dire que la société, la vie en commun sont des constructions artificielles et par là-même soumise potentiellement à toutes les fluctuations et remise en question imaginables par l’esprit humain. Cela revient à faire de l’homme un être instable et égoïste par nature, un être tout entier tourner vers lui et vers son intérêt propre sans considération autre pour ses semblables que l’ombre qu’ils peuvent lui faire. Le contractualisme revêt deux formes principales incarnées réciproquement par Locke et Rousseau ; l’une profondément pessimiste, l’autre idéaliste et utopique, beaucoup plus optimiste.

Locke (1704) et Pufendorf :

Le contrat social confirme une relation pré existante, c’est à dire que l’homme est naturellement sociable et fait pour vivre en groupe. Le contrat vient garantir un certain nombre de droits dans le contexte là aussi naturel d’opposition entre les hommes : principalement le droit de propriété. Bien que vindicatif et revendiquant toujours plus, l’homme peut s‘accorder avec ses semblables.

Hobbes et Rousseau :

La nature n’est pas réglée par quelque rapport que ce soit et de ce fait se trouve dans un perpétuel état de guerre, où l’homme est un loup pour l’homme et ou sa race est dans un état de guerre de tous contre tous. L’homme vit donc seul.

Pour Hobbes, il cherche à subsister et le contrat social marque une rupture dans son état misérable et perpétuellement instable. Il constitue la continuité naturelle du désir de survivre mais avec l’acceptation de limites à la liberté, laquelle serait totale sans le contrat social mais serait aussi précaire et n’assurerait pas la pérennité de l’individu. L’ordre social apparaît dés lors que les hommes renoncent à leurs forces propres.

Rousseau quant à lui, entretien une autre vision de l’homme et une autre ambition pour le contrat social : Partant du principe que l’origine historique et institutionnelle de la société est conventionnelle ; c’est à dire est le résultat d’un accord passé entre les parties formant la société et non du caractère naturellement sociable de l’homme. La société politique n’est pas indispensable ni nécessaire à l’homme, mais elle est le résultat de la libre volonté humaine pour sortir de l’état de guerre de tous contre tous mentionné par Locke et Hobbes et né de l’introduction de la notion de propriété privée. Avant la société, l’homme vit dans un état de nature de type idéal et parfait. La nature étant l’idée de l’homme en lui-même (il s’agit d’une abstraction), elle se définie essentiellement par la liberté dont l’homme dispose dans l’état de nature (Le contrat Social, I, 4). Mais dans cet état de nature, l’homme est isolé, toujours soumis à la menace de plus fort que lui, son bien n’est pas garantie et sa liberté, bien que totale et totalement illimité, est illusoire parce qu’elle est sans cesse à reconquérir et à affirmer contre d’autres hommes dont la liberté est elle aussi sans limite (théoriquement) et donc opposable à tout individu. Le Contrat social rend compatible la relation aux autres et la liberté comme acte d’obéissance à soi-même.

La loi devenant la volonté de tous sans être le résultat de la volonté d’un seul, et tous étant égaux, et voulant la même chose, elle est de telle sorte que chacun, en obéissant à loi, donc en obéissant à tous, n’obéisse qu’à lui-même.

On peut mesurer ici tout le caractère artificiel, et fluctuant, pour ne pas dire instable et éphémère, de ce droit né de la volonté générale.

Le Contrat social instaure la liberté comme autonomie de chacun mais ne peut en aucun cas faire droit à la liberté comme indépendance de l’individu vis à vis de tous et de la société. De plus l’individu se retrouve seul face à l’Etat, Rousseau refuse l’existence de corps intermédiaires entre cet être et la toute puissance de l’institution étatique, lesquels viendraient partager l’obéissance absolue qu’il doit monter à l’égard du tout dont il n’est qu’une partie et auquel il est subordonné. A tel point que la société peut l’obliger, s’il refuse de se soumettre aux lois de la cité, partant du principe qu’il refuse le contrat social signé par ses prédécesseurs, à être heureux malgré lui. L’individu ne « doit opiner que par lui (l’Etat)» (Contrat social, II, 3).

II. Le socio-naturalisme :

Parler de socio-naturalisme revient à parler de la société comme étant un corps naturel, dont les fondements sont existentiels et non conventionnels. Cela revient de fait à s’opposer frontalement à la définition de la société et de l’Etat que font les contractualistes et à donner une vision organique de ceux-ci plus qu’une définition mécanique. La théorie socio-naturaliste postule que l’homme est un être sociable par nature, qu’il n’est pas non plus isolé et ne peut en aucun cas l’être comme le prétend le libéralisme. Pour l’accomplissement adéquat et conséquent de ses fins essentielles, il a besoin de l’aide de ses semblables, les autres hommes. La nature de l’homme, bien que douée d’intelligence et de liberté, est toutefois incapable de se suffire à elle-même pour se réaliser et se développer convenablement dans toutes ses aptitudes. L’homme a donc besoin de la collaboration d’autrui. Cette relation de dépendance aux autres, sans lesquels il ne peut ni exister ni accomplir dignement son destin, constitue la dimension sociale de l’homme, fondement politique de l’ordre social et politique. L’homme est donc un être naturellement social.

Pour les socio-naturalistes, l’Etat est constitué comme matière première non des individus mais des familles et autres associations professionnelles, culturelles, religieuses, qui lui sont antérieures et répondent aux intérêts immédiats de la personne. La société n’est donc pas homogène dans sa structure qui n’est pas mécanique et administrative comme chez les contractualistes mais naturelle et organique. Elle s’organise non pas conventionnellement du sommet c’est à dire de l’Etat, mais naturellement de la base. L’Etat ne naît que de l’application du principe de subsidiarité dans la recherche du Bien Commun. « Seule la conception systématique du Contrat Social pouvait affirmer absurdement que les nations furent formées par l’additions d’éléments individuels pris en tant que parties immédiates de la communauté publique. »( Gil Robles Traité de droit politique).

Saint Thomas dans le De Regno affirme que la fin de l’homme ordonne sa vie et son action du fait que l’intelligence par laquelle il agit est tournée vers l’obtention d’une fin. Les moyens diffèrent selon les personnes et les buts, il faut donc un principe directeur qui dirige l’homme vers sa fin. « Pas sa nature, chaque homme possède la lumière innée de la raison qui le dirige dans ses actes vers sa fin. Et s’il convenait à l’homme de vivre solitaire comme il en va de beaucoup d’animaux, il n’aurait pas besoin d’être dirigé vers cette fin par aucun autre principe directeur (…) en tant que par la lumière de la raison, qui est don de Dieu, il se dirigerait lui-même dans ses actes. Mais il est dans la nature de l’homme d’être un animal social et politique, vivant dans une multitude, plus encore que tous les animaux comme le montre la nécessité naturelle. » L’homme ne dispose pas de moyens de défense contre le monde qui l’entoure, en tout cas pas de moyens naturels. Mais il a la raison qui lui permet de préparer toute chose au moyen de ses mains. Mais comme un seul homme ne suffit pas à tout, il s’ensuit qu’il est naturel que l’homme vive en société.

L’homme ne dispose pas non plus d’habileté à discerner ce qui est utile de ce qui est nuisible. Il ne dispose que d’une connaissance naturelle uniquement générale des choses nécessaires à la vie. Sa raison lui permet de connaître les choses particulières (c’est la différence entre l’inné et l’acquis). Là encore, la solitude ne li permet pas d’atteindre par sa propre raison toute chose.

Enfin, l’homme peut s‘exprimer par le biais de la parole et est bien plus communicatif que tout autre animal grégaire.

« S’il est dans la nature de l’homme de vivre en société, il est nécessaire qu’il y ait chez les hommes de quoi gouverner la multitude ». Sans direction, chacun poursuit ce qui lui est approprié et la multitude serait éparpillée s’il n’y avait quelqu’un qui prenne soin du Bien de cette multitude. (comme il faut au corps une force directrice visant au bien commun de tous les membres.) « Ainsi, les être sont divisés sous l’angle de leur bien propre et unis sous l’angle du bien commun et comme il y a un principe directeur dans tous les corps (les corps célestes par la divine puissance, le corps humain par l’âme, et l’âme par la raison), les chefs doivent chercher le bien de la multitude qui leur est soumise. Le prince (entendu au sens de gouvernant) doit s’efforcer de rechercher ce bien commun par plusieurs moyens :

  • il doit s’appliquer à conserver le bien de la société en s’occupant de ceux qui viennent prendre la place des hommes qui font défaut (éducation, …)
  • détourner les hommes de l’iniquité en favorisant la pratique de la vertu et en châtiant ceux qui s’y opposent.
  • protéger la multitude des périls extérieurs.

Le Bien commun réside dans l’idée suivante :

Comme une partie appartient au tout sans être pour autant ce tout elle-même, l’homme appartient au tout qu’est la société comme partie de ce tout. Or de même que la partie concoure à la perfection du tout, l’homme concours à la perfection de la société. Le bien du tout de même l’emporte sur la partie de telle sorte que le Bien commun de la société l’emporte sur le bien recherché par tout homme comme bien particulier. Alors que le Bien commun chez Rousseau se résume à l’affirmation suivante : Le bien commun comme fin de l’association politique est la conservation et la prospérité de tous ses membres ; chez les socio-naturalistes, il s’agit de la recherche de Dieu. La société, l’Etat et le Bien commun temporel (le bonheur) ne sont pas la fin ultime de l’homme.

La loi humaine :

La loi concoure à la réalisation du bien commun en favorisant

  • l’exercice de la vertu par l’habitude à ceux qui ne sont pas capables de l’exercer par la volonté.
  • en réprimant les vices qui entraînent trop de désordre pour la vie de la cité.
  • la loi peut permettre les actes dits indifférents, c’est à dire qui sont légèrement bons ou mauvais.
  • la loi ne peut réprimer tous les vices.

Quelques citations sur la démocratie :

Amiel : « La démocratie repose sur cette fiction légale que la majorité a non seulement la force mais la raison, qu’elle possède la sagesse en même temps que le droit ».

Volkoff : « Il suffit de faire ce que veut le peuple pour que tout aille bien, c’est à dire pour que triomphe à la fois la vertu et la prospérité. C’est la démocratie de Rousseau. »

« Tout ce que veut le peuple est bon par définition (…), voudrait-il décréter juste l’injuste, bien le mal, interdire le licite, obligatoire le monstrueux et retoucher dans ce sens jusqu’à la constitution : il n’y contre cette volonté populaire aucun recours démocratique légal ni légitime comme le dis Jean Madiran. C’est la démocratie moderne »

« Dans la démocratie, toute autorité qui n’est pas passée sous les fourches caudines du suffrage universel ou qui n’est pas déléguée par une autorité ayant passé sous les fourches caudines du suffrage universel, est illégitime, immorale, intolérable et doit être combattue par tous les moyens, de la suppression de la liberté de pensée jusqu’à la terreur ».

Gandhi : « L’erreur ne devient vérité en se multipliant ».

Sénèque : « L’opinion de la foule est l’indice du pire ».

Montesquieu : « L’amour de la démocratie est celui de l’égalité ».

Flaubert : « Tout le rêve de la démocratie est d’élever le prolétaire au niveau de bétise du bourgeois. Le rêve est en partie accompli. »

Conférence du 7 novembre 2002.

2001-2003 © Cadets du Lyonnais Association régie par la loi du 1er juillet 1901