Le choc de civilisations

Le choc des civilisations :
Situation des relations internationales
au lendemain de la Guerre Froide

Le choc des civilisations est une expression tirée d’un article écrit en 1993 par Samuel Huntington et complété en 1997 par un ouvrage portant le même titre. En son temps, une polémique avait suivi l’article ce qui explique la publication d’un ouvrage plus développé afin de justifier la thèse qu’il avait émise. Samuel Huntington a été au ministère des affaires étrangères pendant plusieurs années sous l’administration Reagan. Son livre est le reflet non du travail d’un diplomate mais bien plus d’un américain écrivant pour justifier non pas tant l’hégémonie américaine sur le monde (comme Brezynski dans le grand échiquier) mais la domination de l’occident dans son ensemble.

La thèse du choc des civilisations

Comme beaucoup de penseurs, Huntington développe un système de pensée pour tenter d’expliquer les relations internationales dans le monde de l’après Guerre Froide. La chute de l’URSS n’avait pas été prévue par la majorité des théoriciens des relations internationales aussi leur faut-il repenser une nouvelle grille d’analyse et d’explication des ces RI.

Francis Fukuyama développe la thèse de la fin de l’histoire modèle selon lequel la civilisation est arrivée à un terme dans son développement intellectuel et moral et que le libéralisme et la démocratie sont la fin de tous les peuple et que tous y parviendront un moment ou à un autre ; ce sera pour tous la fin de l’histoire même si la vie ne s’arrêtera pas en soi à ce moment là. Une conscience mondiale se sera créée qui ne concevra pas la vie sans le droit et le libéralisme comme fondement de tout.

Avant lui et de manière un peu plus sensée, d’autant plus qu’avec les attentats du 11 septembre 2001 il a commis un ouvrage sur la fin de l’homme ; la théorie réaliste considère l’existence des Etats comme fondement des relations internationales mais l ‘apparitions d’acteurs infra nationaux et supra nationaux (ONG, OTAN, FMI, ONU…) vient contrebalancer le pouvoir des Etats et leur volonté de puissance et de protection contre des ennemis avérés ou potentiels.

Une autre thèse considère le monde comme un chaos dans lequel rien ne préside aux relations entre Etats sauf une volonté de puissance débridée et illimité. Mais là encore ce paradigme, cette grille d’analyse ne peut, d’ailleurs comme toutes les grilles, expliquer qu’une part de la réalité tout schéma ne pouvant être que général par définition. Huntington le reconnaît bien qui prévient que son analyse est imparfaite et ne prétend pas tout dire et tout expliquer comme d’autres ont pu l’affirmer de lui sans avoir lu son œuvre. Le paradigme civilisationnel est pour lui la seule thèse actuellement valable ; ce qui signifie qu’elle n’aura qu’un temps et qu’une nouvelle thèse viendra la remplacer lorsque le système des relations internationales aura changé.

Il donne une définition de la civilisation : il s’agit de la culture au sens large des valeurs, institutions, religions et critères ethniques. L’identité culturelle est plus large qui n’a pas de début ni de fin dans l’histoire à la différence de la civilisation et qui peut donc changer dans sa composition.

La civilisation suit un développement historique : du mélange à la gestation puis l’expansion, l’affrontement, la domination universelle et enfin le déclin et l’invasion qui provoque un nouveau mélange et le retour d’un cycle de développement. Huntington considère que le monde occidental est actuellement sur le déclin. Il distingue 7 civilisations majeures :

  • chinoise confucéenne
  • indonésienne
  • musulmane (arabes, turques, malaisiens)
  • occidentale ( Europe, Amérique du nord et Amérique latine)
  • africaine.

Processus historique de communication entre civilisations :

Les contacts entre civilisations ont été, selon Huntington, à peu près inexistant pendant le Moyen-Age et se limitaient aux voyages de grands explorateurs tel Marco Polo en Chine. Nous savons qu’en fait il n’en est rien puisque dés l’époque de saint Louis au XIII° siècle, des ambassadeurs ont été envoyés en Asie pour établir des relations d’amitié avec l’empire du Milieu.

Dans d’autres cas, ils ont pu être soit intermittents soit intenses comme ce fut le cas lors des grandes invasions qui ont ainsi permis à la Turquie de voir s’installer les populations d’origine mongole qui forment actuellement le fond de la nation turque : les anatoliens.

Le troisième type de relations correspond enfin à l’époque moderne et plus particulièrement à l’Occident du 20° siècle puisqu’en 1914, 84% de la population mondiale était soit sous domination soit sous influence directe des pays d’Europe occidentale.

Quoi qu’il en soit, les idéologies dominantes du 20° siècle sont en train de disparaître au profit des relogions qui effectuent leur grand retour sur la scène des relations internationales après une éclipse durant le guerre froide. La religion est de plus en plus le mobile des guerres, qu’elles soient inter étatiques ou intra étatiques. On constate de plus que ces motivations sont des références antérieures à la civilisation occidentale et qu’elles se font contre elle dans de nombreux cas ; ce qui donne lieu à deux types de réaction :

  • le rejet de la modernisation et de l’occident comme ce fut le cas de la Chine et du Japon de l’ère Meji. Il n’y pas de pays actuellement qui soit dans cet état d’esprit.
  • le kémalisme, c’est à dire l’occidentalisation du pays afin de se moderniser en même temps. Selon Kemal Atatürk, à l’origine de cette doctrine, il n’est pas de modernisation possible sans une occidentalisation totale de la culture. L’exemple de l’enrichissement de l’Arabie Séoudite depuis le choc pétrolier de 1973 est la preuve a contrario que cela est possible.
  • le réformisme : c’est à dire la modernisation mais sans l’adoption automatique et obligatoire de la culture occidentale.

La modernisation et l‘occidentalisation sont allé de pair le plus souvent dans un premier temps mais cette modernisation à permis paradoxalement le retour de la culture indigène pour la simple et bonne raison que les populations, déracinées par l’arrivée massives des nouvelles techniques, le développement des villes et donc la concentration dans un milieu urbain pauvre de personnes jusque là habituées à un mode de vie rural a entraîné une perte presque totale des repères traditionnels qui font l’individu. La religion, avec sont caractère profondément structurant et les réponses qu’elle apporte a entraîné après elle un nombre considérable de personnes qui ont opéré par là un retour à leurs valeurs et dons à leur culture. L’acculturation du modèle occidentale et l’adoption de structures laïques ont cédé la place à la religion et à la culture traditionnelle. Phénomène identitaire.

Le monde occidental est aujourd’hui considéré à travers le prisme des interventions américaines dans le monde. Et si cette vision n’est que partielle, elle est dominante et conditionne la pensée de beaucoup dans un sens particulièrement négatif. Le monde n’apprécie pas de voir un Etat se faire le gendarme du monde et prétendre imposer sa vision des droits de l’homme et du meilleur des régimes.

De fait le monde se structure en trois zones culturelles principales selon Huntington. Si ce classement est réducteur à notre avis, il n’en demeure pas moins opérant dans un certain nombres de cas de figure :

  • le monde musulman,
  • le monde asiatique,
  • le monde occidental.

Selon lui, le monde musulman est uni ou en voie de l’être et les conflits qui se déroulent à ses frontières se font contre l’Occident. Mais en réalité le monde musulman est loin d’être uni et même en voie d’unification tant certains antagonismes sont profonds et durables comme ceux qui opposent les Arabes et les Perses, les uns sunnites, les autres chiites.

De plus, les Etats de la péninsule arabique sont loin d’être sur la même longueur d’onde tant au niveau politique qu’au niveau religieux : Irak laïc, Arabie Séoudite Sunnite d’obédience Wahhabite donc intégriste (et proche de terroriste comme Ben Laden), Maroc modéré comme l’Indonésie, l’Iran Chiite…

Dans les faits, l’Oumma, la communauté des croyants, est loin d’être une réalité même s’il ne faut pas oublier que les réactions de la rue musulmane sont loin d’être prévisibles et que les actions en sous main de pays comme l’Arabie Séoudite (soutien au terrorisme islamique au nom de la Charia) font de ceux-ci des électrons libre du système international actuel. Il importe aussi de se rendre compte de la vitalité démographique des pays musulmans contrairement au marasme des pays occidentaux dans lesquels la population est en train de vieillir peu à peu. Enfin la manne pétrolière est aussi une importante source de dynamisme économique alors que nous entrons actuellement dans un cycle de stagnation-récession .

Critique du paradigme civilisationnel

Nous avons montré plus haut l’absence d’unité du monde musulman ; cette disparité est encore aujourd’hui confirmée par le dilemme devant lequel sont placés les Etats arabes vis à vis de l’Irak. Doit-on ou non faire la guerre à ce pays qui, s’il est dirigé par un dictateur n’en demeure pas moins un Etat souverain libre de s’armer à sa guise, encore qu’il est très improbable qu’il soit en possession d’armes de type NBC et encore moins des vecteurs de transports de ces armes.

On comprend la position de la rue arabe quant elle manifeste son antiaméricanisme bruyamment et violemment : la volonté clairement affichée des Usa est de renverser Saddam Hussein pour s’emparer indirectement (par le biais d’un protectorat ; l’administrateur de l’Irak après guerre étant déjà nommé, il s’agit du général Tommy Franks) des réserves de pétrole du pays, les deuxièmes du monde après l’Arabie Séoudite. Comme cette dernière n’est plus un pays sûr pour les Usa du fait de son soutien indirect au réseau Al Qaeda , il faut s’assurer d’autre sources d’approvisionnement pour les trente années à venir.

L’internationale islamique en revanche existe bien qui s’est manifestée en Europe durant le premier conflit des Balkans en soutien des Bosniaques musulmans. Dans ce pays il y a bien eu un choc des civilisations entre le monde occidental catholique de culture, le monde orthodoxe slave et l’avant garde de l’islam sur notre continent. L’Occident a commis là une grave erreur en laissant s’implanter une enclave islamiste dans la région alors même que les orthodoxes l’avaient bien compris eux qui luttaient autant pour leur unité que contre les musulmans en tant que tels. Il en va de même pour le Kosovo, province appartenant à la Serbie historiquement et juridiquement et que les masses musulmanes albanaises ont submergé et conquis par le biais de la guerre menée par l’Otan en 1999 avec le soutien de la communauté internationale.

Tout cela nous montre bien à quel point les relations internationales de demain seront centrée sur des problèmes religieux (il ne faut cependant pas oublier comme le fait Huntington le facteur économique et énergétique qui revêt une importance toute particulière : eau et pétrole sont deux enjeux géostratégique de tout premier plan pour les années qui viennent) et de relations inter étatiques liées aux grandes civilisations.

La civilisation occidentale quant à elle fait montre d’une singulière faiblesse à prendre en compte ces paramètre alors même que comme le rappelle Huntington, on assiste au déclin de la famille, du caractère sociable de l’individu pour l’individualisme, à la disparition de la morale, au développement de l’analphabétisme et par conséquent des problèmes sociaux liés à ce processus de dé-civilisation de mœurs qu’aurai pu montrer Norbert Elias.

De fait, le choc des civilisation va aussi devenir intra étatique puisque l’on assiste à une communautarisation des nos sociétés et à la fragmentations des nations en groupes ethniques et religieux repliés sur eux même et aux revendications sécessionnistes anti- nationales (cf. nos cités et les zones de non droit!).

Conférence du 4 avril 2002.

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