Le Diable Vauvert

Nous sommes aux alentours de l’an Mil. Un homme assiste à la messe assis sur les marches de l’église Saint-Barthélémy, sur l’île de la Cité, à Paris. Il s’agit de Robert II, dit le Pieux, qui sera roi de France, de 996 à 1031. Excommunié par le pape Grégoire V pour des raisons purement politiques, il lui est désormais interdit de pénétrer dans une église.

Soudain, un certain Abbon, abbé de Fleury, suivi de deux femmes, approche du monarque et exhibe sous ses yeux un monstre que le douteux ecclésiastique présente comme étant le résultat des amours « coupables » du roi avec Berthe de Bourgogne. Sur un plat vermeil repose un corps d’enfant mort-né apparemment doté d’un cou et d’une tête de canard. Ce sinistre montage fut vraisemblablement confectionné dans le seul but d’impressionner le souverain et de le persuader de retourner dans le sein de l’église en renonçant à son mariage avec Berthe de Bourgogne. Quant au véritable dauphin, il aurait survécu à sa naissance et,  ravi à sa mère,  aurait été confié à des moines,  avant de disparaître dans les brumes de l’histoire du royaume de France.

Excommunié et harcelé par ses ennemis, Robert le Pieux va s’établir hors de Paris, dans un vallon de vignes que l’on nomma alors Vauvert, c’est-à-dire le « Val vert ». Ce vallon correspond à l’actuel « Jardin du Luxembourg » (6e arrondissement).

Le Diable Vauvert.

Robert fut finalement contraint de céder aux pressions papales et se remaria. Toutefois, lorsqu’il mourut, son château fut abandonné et tomba rapidement en ruines. Le château d’un roi excommunié ne pouvait qu’avoir une réputation sinistre et celle-ci ne fit que se renforcer lorsqu’une population de mendiants et de brigands élit domicile dans ses ruines. Leur inconduite,  leurs cris et leurs hurlements finirent par établir définitivement la réputation d’endroit maléfique et hanté,  acquise par l’ancien château du roi Robert.

Pour compléter cet infernal tableau, il convient de souligner que l’on trouvait dans les alentours du château, de nombreuses carrières dans lesquelles le vent,  en s’y engouffrant,  émettait un son lugubre.

Au 13ème siècle, la réputation sulfureuse du château de Vauvert était intacte. Aussi, en 1259 (ou 1257), Louis IX dit « Saint Louis » (règne : 1236-1270), décida-t-il de concéder le terrain de Vauvert aux Chartreux qui y établirent un couvent. Jusqu’à cette époque, les frères Chartreux étaient logés à Gentilly d’où ils pouvaient voir les ruines du château du roi Robert qui avaient alors la réputation d’être hantées par une foule de fantômes,  de spectres et de monstres les plus divers. Parmi eux se trouvait,  dit-on,  un être de couleur verte,   mi-homme, mi-serpent, doté d’une grande barbe également verte (ou blanche) et armé d’une massue : le Diable Vauvert.

La réputation maléfique de l’endroit résista à la présence des Chartreux. Ainsi, au 16ème siècle, des réunions sabbatiques s’y tenaient toujours, présidées, disait-on,  par le Grand Diable Vauvert dont on prétendait qu’il parcourait la rue d’Enfer sur un char enflammé et qu’il étranglait tous ceux qu’il rencontrait sur son passage…

En outre, des terrains marécageux laissaient échapper des gaz de leurs eaux méphitiques. Ce phénomène donnait naissances à des « feux follets »  que l’on considéra longtemps comme les âmes errantes des enfants  non-baptisés.

Au 18ème siècle,  quelques charlatans firent « voir le Diable »  à leurs naïves victimes dans les carrières de Gentilly et celles, toutes proches, de Bicêtre.

Quant au couvent des Chartreux de Vauvert, il prospéra jusqu’à la Révolution française et deviendra même célèbre pour ses pépinières, celles-là même qui ont été conservées jusqu’à nos jours dans la partie méridionale du Jardin du Luxembourg.

La légende du Diable Vauvert donna naissance à la célèbre expression « aller au diable Vauvert » (et non, comme on l’entend parfois, « aller au diable au vert »,  ce qui ne signifie rien), qui évoque une expédition hasardeuse, incertaine,  lointaine,  dangereuse,  dont on risque de ne pas revenir.

 Eric TIMMERMANS

https://www.parisvox.info/2017/06/27/histoire-de-paris-diable-vauvert/
Sources : Dictionnaire du Diable, Roland Villeneuve, Omnibus, 1998 / Dictionnaire du diable, des démons et sorciers, Pierre Ripert, Maxi-Poche Références, 2003 / Enigmes, légendes et mystères du Vieux Paris, Patrick Hemmler, Editions Jean-Paul Gisserot, 2006 / Guide de Paris mystérieux », Les guides noirs, Editions Tchou Princesse, 1979.

Bien que l’origine de l’expression soit liée au château de Vauvert à Gentilly ou bien à l’abbaye de Vauvert, maison de Chartreux située rue d’Enfer à Paris, d’autres hypothèses préconisent l’origine du nom  à un sanctuaire dédié à Notre Dame de la Vallée Verte, à Vauvert dans le Gard  ou après la représentation des « Mystères », se jouaient les Diableries, spectacles profanes offerts jadis aux pèlerins de Saint Jacques de Compostelle.