Les objectifs du communisme

Les Objectifs du Communisme

Ce n’est pas d’hier que date le péril communiste. Longtemps avant la première guerre mondiale sa menace grandissait à l’horizon. Tout le monde sait avec quelle effrayante rapidité, depuis la bolchevisation de la Russie à la fin de la guerre, le péril est allé de jour en jour s’aggravant.

S’infiltrant partout ; exploitant partout avec une habilité diabolique et un cynisme inconfusible tous les mécontentements, toutes les rancœurs, toutes les amertumes, toutes les fautes aussi d’un régime qui en a trop commis, il faut bien le dire : s’adressant aux paysans aussi bien qu’aux ouvriers des grandes villes industrielles ; sollicitant les élites intellectuelles aussi bien que les masses populaires ; s’introduisant dans l’armée, dans l’enseignement, dans l’administration ; se posant en défenseur de la culture et de l’humanisme aussi bien qu’en représentant de l’intelligence française ; cherchant à gagner la jeunesse féminine aussi bien que la jeunesse masculine ; revêtant toutes les apparences, même les plus anodines ; ne reculant devant aucune alliance ; ne s’embarrassant d’aucune contradiction ; ne perdant aucune occasion de faire de l’agitation ; poussant toujours plus avant ses revendications ou ses offensives ; nous le voyons bien user de tous les moyens pour essayer de dresser contre l’ordre social existant l’immense multitude des mécontents, des insatisfaits, des aigris des souffrants, des fanatiques aussi, des rêveurs idéologues plus ou moins utopistes ; et même parfois des intellectuels généreux séduits par une philosophie qui n’est pas sans apparente profondeur.

Souvent dans leur action les communistes tentent de sympathiser avec des catholiques en leur proposant des alliances ou en sollicitant leur collaboration sur des sujets auxquels les catholiques ne sont pas indifférents.

Les objectifs immédiats.

Il est vrai qu’il ne parle guère de ces derniers quand il fait appel aux catholiques. Lorsqu’ils nous invitent à venir se rejoindre à eux, c’est toujours en vue de quelque objectif immédiat, au sujet duquel ils semblent penser que nous ne pouvons pas nous dérober, sans paraître trahir des causes qui ne peuvent pas ne pas nous êtres particulièrement chères.

La lutte contre le chômage.

Il n’en va guère autrement en matière de lutte contre le chômage. Car cet objectif, en lui-même si louable, prête, hélas ! aux équivoques les plus dangereuses. S’il s’agit simplement de venir matériellement en aide à des chômeurs en détresse ? Il est trop évident que nous n’avons pas besoin d’être invités par les communistes et que nous n’avons pas attendu leur appel pour essayer de secourir par tous les moyens en notre pouvoir ces malheureuses victimes de la crise actuelle( conjecture économique ) Il est bien sûr, également que pour y mieux réussir, des organisations catholiques pourront avoir à entrer parfois en contact avec des organisations officielles désignées en fait par des communistes, par exemple des municipalités, et tout le monde sait très bien qu’elles ne s’y refusent pas.

Mais on comprendra sans peine, que nous ne puissions ni encourager ni même autoriser nos organisations catholiques elles-mêmes à entrer en collaboration, comme on les y invite, avec des organisations communistes dans des sortes des comités mixtes de secours aux chômeurs. Nous ne pouvons pas, en effet, accepter que cette sorte d’alliance momentanée, même simplement en vue d’une œuvre d’assistance très méritoire en elle-même, risque de compromettre des organisations de cette nature aux yeux des catholiques, ou permettre aux communistes de se présenter comme le seul et vrai représentant de la classe ouvrière.

A plus forte raison, si, quand on invite les catholiques à lutter contre le chômage, on entend les engager dans la lutte contre les causes assignées par le communisme à cette douloureuse maladie du monde actuel, et les entraîner dans l’assaut préparé contre le régime économique en vigueur, somme-nous obligés de refuser notre concours ? Non pas que le Catholicisme entende prendre la défense de ce régime ; non pas qu’il renonce à rechercher les causes profondes de la crise et qu’il ne veuille y porter remède. Mais c’est justement parce qu’il se trouve en désaccord profond avec le Communisme sur tous ces points essentiels qu’il refuse à lier son effort au sien.

La lutte contre le fascisme.

Le refus ne peut être que plus formel encore lorsque les communistes nous pressent de nous joindre à eux pour  » combattre le fascisme « , comme ils disent, en oubliant ou en négligeant de dire ce qu’ils entendent par là. Leurs diatribes contre Hitler, contre Dollfuss ou contre Mussolini, leurs violentes invectives contre les chefs des partis opposés au Communisme, ne suffisent évidement pas à le définir.

Il est cependant possible que ce qu’ils réprouvent avec horreur sous le nom de  » fascisme « , ce soit avant tout un régime politique totalitaire, caractérisé par l’omniprésence de l’Etat, par la démission volontaire ou forcée de la Nation devant lui, et par le pouvoir dictatorial et sans contrôle que s’attribue dans ce régime le chef en qui s’incarne l’Etat. Il n’est pas douteux, en effet, qu’un pareil régime représente une menace ou tout au mois un danger réel pour les plus justes libertés et pour les plus essentielles prérogatives de la personne humaine. Et il n’est pas impossible que cette menace ou ce danger ne soit pour quelque chose au mois dans l’hostilité manifestée par le Communisme à son égard.

Il n’est pas douteux non plus que la pensée chrétienne s’accommode difficilement d’une conception de la Cité et du Pouvoir qui risque trop de conduire à la plus intolérable tyrannie, et fait, en tout cas, trop bon marché des plus légitimes exigences de l’humaine dignité. Le fait qu’elle puisse être éventuellement acceptée, et même se révéler momentanément bienfaisante, ne supprime pas malheureusement ce qu’elle a de dangereux et d’erroné en elle-même.

Et ce peut-être bien parce qu’il a plus au mois confusément sent cette répugnance instinctive de la conscience chrétienne à l’idéologie fasciste que le Communisme essaye d’y faire appel pour nous amener à la combattre avec lui. Mais s’il est un mouvement qui soit mal qualifié pour prêcher semblable croisade, c’est assurément le Communisme. Car il n’est, en définitive, qu’une forme particulière de fascisme, et non pas la mois dangereuse. Ne réclame-t-il pas, à titre provisoire peut-être, mais en fait, la même omniprésence de l’Etat ? Ne préconise-t-il pas la même dictature au fond d’un homme ou d’un groupe entre les mains duquel doivent être concentrés les pouvoirs les plus étendus, et dont les décisions ne tolèrent aucun contrôle et aucune limitation ? Ne conduit-t-il pas au même tyrannique arbitraire, à la même violence oppressive, à la même négation des plus essentielles prérogatives de la personne humaine ? Dans la mesure où le mot  » fascisme  » peut désigner une conception de la Cité négatrice de toute liberté individuelle et consacrant le régime de l’arbitraire et de la violence, ce n’est pas avec le Communisme que nous irons faire alliance pour combattre une idéologie et une psychose dont il est lui-même le premier infecté.

Au surplus, si le Communisme en veut tant au fascisme, ne serait-ce pas simplement parce qu’il voit en lui un plus grand obstacle à la réalisation de ses rêves de dictature sur le monde ? A constater, en effet, l’insistance avec laquelle il dénonce comme  » fasciste  » tout mouvement, tout régime, tout parti qui se montre hostile au Communisme, on a bien l’impression que le  » fascisme « , pour lui, c’est essentiellement tout ce qui peut faire obstacle à sa propagande. En sorte que la lutte contre le  » fascisme  » à laquelle il nous convie paraît bien n’être qu’une lutte pour la défense du Communisme lui-même, une lutte pour assurer son triomphe. Nous avons trop de raisons, et trop graves, de ne pas le souhaiter pour ne pas nous refuser à jouer le rôle de dupes auquel on nous convie.

La lutte contre la guerre.

Mais  » le fascisme c’est la guerre « , clament éperdument les orateurs et les slogans communistes. Or, les disciples du Dieu de l’amour et de paix que sont les Catholiques ne doivent-t-ils pas être les adversaires résolus de la guerre ? Pourquoi, dès lors, ne feraient-ils pas cause commune avec tous ceux qui veulent préserver l’humanité de ce fléau ; et par conséquent avec le Communisme ?

Que la mentalité dite fasciste soit une mentalité belliqueuse, qu’elle affecte d’exalter surtout les vertus guerrières, qu’elle témoigne d’une estime exagérée pour la violence, qu’elle développe dans l’esprit de ceux qu’elle anime un besoin de prestige, un goût de l’aventure et du risque singulièrement inquiétants ; et que, pour touts ces raisons, elle représente un danger permanent de guerre, c’est difficilement contestable. En tout cas, il n’est pas contestable que les régimes dits fascistes se sont appliqués tout particulièrement à développer chez eux les qualités guerrières. Ce pouvait être nécessité défensive, et application du vieil adage  » Si vis pacem, para bellum « . Ce pouvait être aussi besoin de revigorer, de viriliser des peuples qui s’abandonnaient, désir de leur rendre le sens de l’effort, le goût de l’héroïsme, et l’intelligence du sacrifice. Tout cela n’en reste pas moins dangereux, car la tentation ne peut manquer d’être grande, quant on a forgé l’arme, de vouloir au moins l’éprouver, et quand on se croit sûr de sa valeur, de chercher à l’utiliser.

Mais nous sommes biens obligés de constater que cette mentalité belliqueuse, que cette exaltation de la force et de la violence ne sont pas le monopole des régimes dits fascistes, et qu’on les retrouve pareillement dans les pays où triomphe le Communisme.

Mais la déclaration de guerre du Communisme à l’ordre social existant ; sa résolution sans cesse affirmée de lutter jusqu’à ce qu’il ait imposé par la force, au besoin, ses conceptions et son idéal ; ses efforts persévérants pour s’implanter partout et partout préparer la révolution qui lui permettrait d’instaurer la dictature ; « la révolution victorieuse, écrit Staline dans ses Principes du Léninisme, a pour tâche essentielle de développer et de soutenir la révolution dans les autres pays  » – c’est d’ailleurs tout l’ouvrage qu’il faudrait pouvoir citer ! – ; ses appels réitérés à la violence ; ses manifestations incessantes et facilement agressives contre toute manifestation publique d’une pensée différente de la sienne, ce ne sont tout de même pas simples imaginations de visionnaires, ni probablement simples manifestations platoniques et sans portée.

Il est donc pour le moins étrange qu’une doctrine et un mouvement qui se montrent bien résolus à mettre s’il le faut le monde à feu et à sang pour assurer leur triomphe, se présentent ensuite comme les apôtres et les défenseurs de la paix, et qu’ils viennent nous demander de les aider à la maintenir.

Et pour savoir quelle réponse nous devons leur faire, ne sommes-nous pas en droit de chercher à savoir quelle est la paix qu’ils veulent et quelle est la guerre qu’ils redoutent ?

La guerre qu’ils redoutent ? Mais c’est tout simplement la résistance qu’ils pressentent, ou à la quelle ils se heurtent, de la part des mouvements qui leurs sont opposés, de la part d’un Capitalisme qui ne veut pas se laisser déposséder sans essayer de se défendre, de la part des Nations surtout qui ne veulent en aucune manière se laisser bolchéviser.

A cet égard le Communisme mondial a peut-être bien raison de voir un danger dans le fascisme. On comprend qu’il cherche à se prémunir contre ce danger. Mais nous ne voyons vraiment pas pourquoi nous irons nous joindre à lui pour le défendre. D’autant qu’on peut très justement se demander si le danger ne vient pas au contraire de ce que le Communisme est regardé par le Fascisme, comme une redoutable menace dont il estime avoir à se défendre…?

Autrement dit, si  » le Fascisme c’est la guerre « , le Communisme ce n’est pas la paix. Or, c’est la paix que nous voulons, la vrai, celle qui assure à chaque Peuple, à chaque Nation, le respect de ses droits et de son indépendance, la possibilité de s’organiser librement suivant son génie, son tempérament, ses traditions ou ses préférences, et qui permet à tous les Peuples et à toutes les Nations de collaborer dans la justice et l’amitié au bien temporel et spirituel de tous les hommes.

Mais cette paix là qui est celle que nous voulons, ce n’est pas du tout celle qui veut le Communisme. Celle qu’il réclame n’est pas autre chose en définitive que la possibilité pour lui d’organiser librement et d’intensifier à son gré sa propagande, c’est la possibilité de travailler tout à son aise à bolchéviser le monde, c’est la suppression de tout obstacle et toute résistance à la révolution violent par laquelle il entend instaurer un ordre social nouveau, c’est la possibilité de poursuivre, sans être gêné par personne, les fins essentielles qu’il s’est assignées lesquelles sont inacceptables pour nous. Cela suffit pour que nous ne puissions pas nous joindre à lui afin d’assurer la paix dont il rêve et qui lui permettrait simplement d’atteindre des fins que nous réprouvons.

La véritable paix, celle que le Christ est venu prêcher au monde, ce n’est pas avec l’aide de ceux qui rejettent et blasphèment le Christ qu’elle s’établira. Nous y travaillerons, certes, et de tout notre pouvoir, mais pas avec eux, parce que, de cette paix, au fond, ils ne veulent pas !

La lutte pour la liberté.

A plus forte raison ne pouvons-nous pas nous allier avec eux pour défendre ce qu’ils appellent la liberté. Ici encore, nous sommes en droit de chercher à savoir, avant de nous prononcer, ce qu’ils entendent par ce mot de liberté. Or, il est manifeste, par la manière même dont ils l’emploient, qu’ils songent particulièrement, quant ils en parlent, soit aux servitudes politiques dont ils prétendent que nous menacent les ligues appelées par eux factieuses, soit les servitudes économiques dans lesquelles le Capitalisme tend à maintenir la multitude ouvrière.

Et, d’autre part, il n’est pas douteux que le Catholicisme n’a aucun goût pour des formations ou des organisations qui prétendraient imposer par la force ou la violence la domination effective et peut-être tyrannique d’une classe, d’un groupe ou d’un parti. Il n’est pas davantage partisan d’un régime dans lequel les  » puissances d’argent  » en arrivent trop facilement à dominer les Pouvoirs publics eux-mêmes, à exercer un pouvoir discrétionnaire à peu près absolu sur les multitudes laborieuses et les enchaînent au service de la Richesse anonyme, vagabonde et sans pitié. Pour nous présenter comme solidaires de cette forme de Capitalisme génératrice de tant d’abus et de désordres, il faut méconnaître systématiquement tout l’enseignement officiel de l’Eglise, ou ne rien savoir des retentissantes interventions des Papes en ces matières, et faire preuve d’une ignorance qui n’a même pas l’ombre d’une excuse. Le vieux  » slogan  » de l’Eglise alliée de la réaction et du Capitalisme peut avoir encore quelque succès devant des auditoires non avertis ; il ne peut que faire sourire de pitié ceux qui savent…

Nous sommes bien  » pour la liberté « , mais pas du tout pour celle que prétend instaurer le Communisme. Car cette liberté s’appelle trop ouvertement elle-même du Prolétariat pour nous inspirer la moindre confiance. Il nous importe assez peu d’échapper à la tyrannie du Capitalisme bourgeois ou à l’arbitraire éventuel de soi-disant  » ligues factieuses « , si c’est pour tomber sous l’arbitraire du Communisme ou pour avoir à subir la tyrannique oppression du Capitalisme collectiviste. Dictature pour dictature, la dictature éventuelle de la classe prolétarienne ne serait pas moins négative de la vraie liberté que la dictature éventuelle ou prétendue de la classe bourgeoise. Productivisme pour productivisme, celui du Communisme n’est pas moins matérialiste que celui du Capitalisme. Le productivisme Communiste ne fait pas moins bon marché de la vraie dignité de la personne humaine. Aimées ou détestées, rivées par quelques individus au nom de leurs interets égoistes ou par la collectivité au nom de ses prétendu interets collectifs, les chaines restent des chaines. Il nous importe assez peu que le Communisme brise celles du Capitalisme ou du Fascisme, si c’est en afin de nous imposer les siennes. La liberté à laquelle doit nous conduire la dictature du Prolétariat n’est assurément pas la nôtre. Il est vain de compter sur nous pour en assurer le triomphe.

Le Communisme met l’homme au service de la Richesse matérielle et du bien être temporel. Le fait que cette richesse est censée appartenir à la collectivité ne change rien à la dépendance et à la servitude dans laquelle est maintenue la personne humaine. La conception même de la vie dont s’inspire le Communisme le rend incapable d’affranchir l’homme des servitudes auxquelles il prétend le soustraire, car elle le rend incapable d s’évader lui-même du cercle infernal dans lequel il est enfermé.

Les objectifs essentiels.

Car si les Communistes évitent d’en parler quand ils essaient de lier conversation avec nous, ils ne les perdent cependant jamais de vue ; et ne peuvent pas nous contester le droit de nous en souvenir.

La création d’un monde nouveau.

Or, cet objectif essentiel et dernier, ce n’est pas autre chose, en définitive, que la création d’un monde et d’un homme nouveau. Le Communisme est tout autre chose, en effet, qu’une doctrine économique et sociale. Il est un véritable messianisme. Il s’offre au monde comme une promesse magnifique pour la vie présente. Et de là précisément la séduction qu’il exerce sur les masses souffrantes que hante le rêve d’une vie meilleure. A l’origine, ou à la base du Communisme il y a quelque chose comme la conscience aiguë d’une sorte de mal universel régnant sur le monde, le sentiment que ce monde est mal fait, mais aussi que l’homme se trompe, quand il s’imagine que le mal est inévitable, et lorsqu’il pense qu’au mal de la vie présente succédera le bien de la vie future. Pour le Communisme il n’y a pas de vie future. L’homme n’a rien à attendre que de la vie présente. Seulement la vie présente est mal organisée. Elle est toute entière viciée par une organisation économique défectueuse, par la domination de la classe des possédants sur celle des prolétaires. De là l’exploitation systématique et constante des travailleurs par les possesseurs des moyens de production et d’échange, la souffrance et la misère des petits, des faibles et des déshérités de la vie, l’asservissement politique du peuple à la puissance tyrannique de l’argent. Vous reconnaissez le thème familier des diatribes communistes.

Mais, de là aussi, dans le communisme, la volonté résolue, farouche, inébranlable, de changer tout cela et de refaire un monde nouveau. Là est le but essentiel, véritable, celui qu’il poursuit à travers toutes les fluctuations, toutes les contradictions apparentes de ses attitudes successives. Car nous ne devons pas nous laisser déconcerter par ces variations qui nous montrent tour à tour ou même simultanément, suivant les pays ou les circonstances, pacifiste à outrance et farouchement militariste, internationaliste ou nationaliste selon ses convenances, défenseur de la famille après avoir affecté d’en être l’adversaire, rétablissant le droit de propriété après l’avoir supprimé, renforçant l’étatisme après l’avoir critiqué. A travers tout cela le Communisme n’en poursuit pas moins la réalisation de ce qui reste sa passion constante, consciente et parfaitement conséquente, transformer le monde.

Ce qu’il veut réaliser, a l’encontre de ce qui existe, c’est l’homme heureux, libre de s’épanouir complètement dans l’expansion joyeuse de toutes ses facultés humaines, sans être accablé par le souci du pain quotidien, par la peine du labeur forcé, par l’assujettissement à d’autres hommes qui exploitent sa faiblesse économique pour en faire une machine à produire au service de leurs égoïsmes jouisseurs. Ce qu’il veut réaliser, c’est homme revenu aux temps heureux du paradis terrestre et c’est, par conséquent le paradis terrestre lui-même qu’il faut maintenant faire passer du  » domaine des légendes mortes  » à celui de la réalité actuelle et vivante.

Le Communisme s’est ainsi donné pour mission de réaliser ce que nul avant lui n’a pu faire : l’ordre nouveau dans lequel l’homme enfin pourra cueillir et savourer ce fruit du bonheur dont il rêve depuis toujours et dont la nostalgie précisément aurait jadis fait naître d’après lui la  » légende du paradis perdu  » ! Cet ordre nouveau, le Communisme s’estime parfaitement capable de le réaliser. Il prétend bien avoir les moyens d’y parvenir. Il est sûr, du moins il l’affirme, d’y réussir, et il faut bien reconnaître que cette assurance fait partie de sa force.

Par la transformation du régime de la propriété.

A l’en croire, il doit suffire, d’ailleurs de transformer le régime de la propriété pour transformer le monde. Tout le mal de la société actuelle vient, d’après lui, du régime capitaliste de la propriété ; car c’est lui qui entraîne, prétend-il, la nécessaire division de toute la société en deux classes opposées, la classe possédante et la classe prolétarienne, et la nécessaire exploitation de la seconde par la première.

Mais qu’on fasse passer la propriété du capital producteur des mains de la bourgeoisie capitaliste dans celles de la collectivité toute entière, et l’on verra automatiquement disparaître cette division de la société en classes distinctes et opposées, et toute possibilité d’exploitation de l’une par l’autre, tandis que se trouveront modifiées radicalement les conditions d’existence de tous. Les moyens de production appartenant en commun à tous ceux qui travaillent, ces derniers ne travailleront plus que pour eux-mêmes. Le profit de leur travail leur reviendra intégralement toujours. Il n’y aura plus d’exploités parce qu’il n’y aura plus d’exploiteurs.  » A la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classe, aura surgi une association où le libre développement de chacun sera la condition du libre développement de tous.  » ( Manifeste communiste )

Cet assainissement de la propriété entraînera l’assainissement de toute la vie sociale et de toute la vie humaine, et permettra enfin l’éclosion, l’apparition d’un homme vraiment nouveau. L’homme, en effet, prétend le Communisme, n’est pas encore parvenu jusqu’à présent à se dégager, à devenir lui-même, parce qu’il était comme tenu en servitude par l’argent : argent qu’il n’avait pas et qu’il devait gagner pour vivre. Mais une fois que l’organisation de la propriété collective l’aura délivré de cet obsédant souci, lorsqu’il sera toujours sûr de recevoir de la collectivité tout ce dont il aura besoin en retour d’un travail où la machine suppléera de plus en plus son effort personnel ; alors rien ne s’opposera plus à ce qu’il puisse être entièrement lui-même, à ce qu’apparaissent en lui des possibilités de culture humaine et de fraternité humaine qu’il ne soupçonnai même pas.

La société sans classes, où tous seront égaux devant le travail et devant la vie, où tous recevront de la collectivité tout ce qui peut être nécessaire au bonheur, où la femme sera égale à l’homme dans tous les domaines, où les servitudes qu’entraine la conception bourgeoise de la famille seront abolies, où l’homme et la femme pourront s’aimer librement sans souci du lendemain ; où la collectivité se chargera d’élever beaucoup mieux que ne l’eussent fait les parents les enfants qu’il leur plaira d’avoir, où tous les hommes pourront avoir accès à tous les raffinements de la culture humaine, où les peuples n’auront plus à se concurrencer les un les autres, où la Paix sera par conséquent assurée pour tous, la société idéale, si souvent rêvée par les générations passées, jamais réalisée, la société parfaite où l’homme sera enfin lui-même, heureux et libre dans l’abondance, au prix d’un effort que le développent technique et le perfectionnement de l’outillage auront réduit au minimum, le paradis terrestre en un mot, est au bout de la route !

Tous unis pour la lutte finale. Encore quelque violentes secousses ici ou là au vieil édifice qui chancelle ; et l’obstacle est par terre, et la route est libre et le paradis est à vous ! Refaire un monde meilleur ; et par ce monde meilleur un homme nouveau, tel est bien l’objectif essentiel, le but dernier que se propose le Communisme. Mais, si émouvant que puisse être un pareil effort quand on veut bien l’envisager du point de vue de l’idéal qu’il inspire, nous ne pouvons absolument pas nous y associer et le seconder. Notre Catholicisme n’est pas du tout d’accord avec le Communisme au sujet des conditions auxquelles demeure subordonné la possibilité de ces redressements nécessaires ; et il rêve lui aussi d’un monde au moins partiellement nouveau, il estime que c’est l’homme qu’il faut changer pour changer le monde ; mais il ne suffit pas de changer le monde pour arriver à changer l’homme !

L’illusion du Communisme.

Le Communisme témoigne d’une foi absolue dans la vertu de la technique et de l’organisation économique de la société pour assurer la transformation dont il rêve. Le Catholicisme ne partage pas cette foi. Il ne peut pas la partager parce qu’il ne peut accepter le matérialisme foncier sur lequel en définitive il se fonde.

Le communisme s’imagine que le progrès matériel peut suffire à affranchir l’homme et lui permettre de se réaliser. Il attend la libération de l’homme du seul jeu des forces économiques et sociales. Pour le communisme, le problème de la propriété est fondamental. Pour nous, ce problème est secondaire. Le problème essentiel est celui du mérite et de la vertu. En quelque main que puisse être la propriété du capital, le problème demeure entier. Une modification du régime de la propriété peut remédier à certains abus. Elle ne saurait suffire à imposer la vertu, le désintéressement, la justice, la charité ; et par conséquent elle ne saurait suffire à empêcher d’autres abus qui ne seront pas moins graves.

Le mal qui existe dans l’ordre actuel vient d’abord de l’homme lui-même ; et le Communisme se trompe lourdement quand il s’imagine qu’il suffira pour changer l’homme de changer les conditions de la vie économique et le régime de la propriété. La création d’un homme nouveau est un problème essentiellement spirituel et religieux. Il suppose une transformation intérieure. La solution d’un tel problème ne peut pas résulter d’une simple transformation extérieure.

Il faut d’ailleurs aller plus loin encore, et reconnaître que cette transformation intérieure de l’homme, l’homme ne peut pas s’accomplir à lui tout seul. Il doit certes y travailler de tout son pouvoir. Mais dans cet effort il reste toujours paralysé par sa propre insuffisance. L’homme n’est pas en état d’innocence à l’intérieur d’un paradis. Il n’y serait pas davantage à l’intérieur du paradis terrestre que le Communisme lui promet. Il s’y retrouverait avec ses égoïsmes et ses passions humaines ; avec sa misère morale et son infirmité naturelle. La vérité, celle que le Communisme ne veut pas voir, c’est qu’il a besoin d’une force venant seconder sa faiblesse ; la vérité c’est qu’il n’est qu’un homme pécheur ; la vérité, c’est que pour devenir et rester irréprochable et constamment vertueux, il a besoin de Dieu !

Supprimez Dieu de la vie de l’homme ; coupez-le de Dieu en quelque sorte, privez-le du secours divin ; ne laissez plus arriver jusqu’à lui la grâce divine dont il a besoin ; et vous le retrouverez lui-même avec ses passions et ses égoïsmes et tous les désordres et toutes les exploitations qu’ils engendrent.

Et c’est encore pourquoi nous les catholiques ne croyons pas au paradis terrestre que promet le Communisme et vers lequel se tend son effort désespérément.

Bibliographie : La cité chrétienne de Dom Nicolas Perrier ; Editions Saint Paul ; Imprimerie St-Paul Fribourg.1949.

Conférence du 15 mars 2001.

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