L’ORIGINE DE L’ETAT CIVIL

Contrairement à ce que l’on croit, la naissance de l’état civil français imposant la tenue de registres paroissiaux pour consigner les baptêmes, mariages et décès des Français n’est pas une création de l’ordonnance de Villers-Cotterêts, prise par François Ier en 1539. Des registres sont déjà tenus dans de nombreux diocèses (en Bretagne, à Paris), lorsque le pouvoir royal décide de légiférer pour la première fois dans ce domaine.

Dès le XIVe siècle, il existe des registres ou plutôt des livres de comptes dans lesquels les curés notent les dons qu’ils perçoivent lors des mariages et des sépultures. Au XVe siècle, les registres sont tenus sur prescription ecclésiastique, afin de constater d’éventuels liens de parenté faisant obstacle à un mariage. Le plus ancien texte réglementaire de ce type est l’ordonnance de l’évêque de Nantes en 1406, qui exige l’enregistrement de tous les baptêmes. C’est également le cas des évêchés de Rennes en 1464, Besançon en 1480 ou Angers en 1504. L’évêque de Paris impose la tenue de registres de baptêmes, mariages et décès dès 1515 ; il justifie sa décision par l’observation du droit canonique en matière matrimoniale, pour lutter contre les mariages consanguins, l’inceste et le concubinage.

L’ordonnance de Villers-Cotterêts (août 1539) précise, dans ses articles 52 et 53, la façon dont les registres paroissiaux doivent être tenus et ordonne aux curés de les déposer chaque année au greffe du bailliage (ou de la sénéchaussée) auquel ils sont juridiquement rattachés. L’ordonnance de Blois (mai 1579) va prendre des dispositions complémentaires inspirées par le concile de Trente, en matière de législation matrimoniale. L’article 40 impose la proclamation de bans et la présence de quatre témoins qui seront nommés sur le registre des mariages. L’article 181 rappelle l’obligation faite aux curés de porter chaque année, les registres de baptêmes, mariages et décès, au greffe de leur juridiction.

Extrait des Ordonnances Royaulx Nouvelles, article 53 de l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 ; transcription : « Que les dits registres seront portés dans un an et gardés es greffes des plus prochains juges royaux. Lesquels chapitres, couvents et curés seront tenus mettre les dits registres par chacun an (chaque année) devers le greffe du prochain siège du bailli ou sénéchal royal pour être fidèlement gardés et y avoir recours quand métier et besoin sera ». © gallica.bnf.fr, BnF

Extrait des Ordonnances Royaulx Nouvelles, article 53 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 ; transcription : « Que les dits registres seront portés dans un an et gardés es greffes des plus prochains juges royaux. Lesquels chapitres, couvents et curés seront tenus mettre les dits registres par chacun an (chaque année) devers le greffe du prochain siège du bailli ou sénéchal royal pour être fidèlement gardés et y avoir recours quand métier et besoin sera ». © gallica.bnf.fr, BnF 

Dès la seconde moitié du XVIe siècle, le législateur royal considère comme acquise la tenue des registres paroissiaux et décide de prendre des dispositions particulières concernant ses sujets protestants.

L’« état civil » des réformés français

L’organisation des Églises protestantes en France incite le premier synode national de 1559, à prescrire l’enregistrement des mariages et des baptêmes avec le nom du père, de la mère et des parrains et marraines de l’enfant baptisé. Après le premier conflit religieux, l’édit de pacification d’Amboise (mars 1563) accorde aux réformés la liberté de culte et une disposition particulière est adoptée en décembre (1563) pour l’enregistrement des baptêmes. Les protestants devront désormais accomplir deux démarches : faire baptiser leurs enfants par le pasteur le plus proche de leur domicile et déclarer la naissance au juge de leur ressort qui l’enregistrera.

Extrait du registre des baptêmes de la paroisse Saint-Sernin de Toulouse pour l'année 1578 (page janvier). Archives municipales de Toulouse, série Registres paroissiaux, cote GG 555. © Direction des archives municipales de Toulouse

Extrait du registre des baptêmes de la paroisse Saint-Sernin de Toulouse pour l’année 1578 (page janvier). Archives municipales de Toulouse, série Registres paroissiaux, cote GG 555. © Direction des archives municipales de Toulouse 

C’est la naissance d’un véritable « état civil » pour les protestants français, institué par décision royale. Cependant, il faut attendre un arrêt du Conseil du roi en 1664 pour que les pasteurs soient habilités à tenir les registres de baptêmes et mariages, avec obligation d’en fournir un double exemplaire tous les trois mois, aux greffes des bailliages ou sénéchaussées. La tenue en double des registres est prescrite aux protestants trois ans avant les catholiques par le Code Louis. En fait, cette mesure permet d’identifier les réformés pour mieux les contrôler puisque le roi Louis XIV vise l’anéantissement progressif du culte protestant dans le royaume, ce qui est chose faite en octobre 1685 avec la révocation de l’édit de Nantes. Privés de toute existence légale, les protestants vont continuer d’enregistrer clandestinement baptêmes, mariages et décès selon les prescriptions des autorités synodales. C’est l’édit de Tolérance de 1785 (LOUISXVI) qui promulgue le rétablissement d’un état civil protestant tenu par des juges, ainsi que l’obligation d’établir les registres de baptêmes, mariages et décès en deux exemplaires.

Le Code Louis

L’ordonnance civile d’avril 1667, dite Code Louis (XIV), complète et précise les normes d’enregistrement des différents actes : les curés ont obligation de tenir les registres en double exemplaire, un pour la paroisse et un second (copie certifiée authentique par le curé) pour le greffe de leur circonscription juridique. Les actes de baptêmes, mariages et décès doivent figurer sur le même registre. Outre la signature du curé, l’acte de baptême reçoit celle du père, des parrains et marraines ; l’acte de mariage est signé par les nouveaux époux et quatre témoins ; l’acte de décès est contresigné par deux parents proches ou amis du défunt.

Le Code Louis est complété par la déclaration royale du 9 avril 1736 (Louis XV), qui précise l’obligation d’établir simultanément les deux registres, avec les signatures du curé, des parties concernées et des témoins. Cette déclaration (de 1736) est la première loi française exclusivement consacrée aux registres paroissiaux et d’état civil ; le principe du double enregistrement est toujours en application à l’heure actuelle. En juillet 1746, un arrêt du Conseil du roi prescrit la tenue de registres séparés pour les baptêmes et mariages d’une part et les décès d’autre part.

Extrait de la « Déclaration ... concernant la forme de tenir les registres de baptêmes, mariages et sépultures... » ; acte royal édité à Paris le 09 avril 1736. Bibliothèque nationale de France. © gallica.bnf.fr, BnF

Extrait de la « Déclaration … concernant la forme de tenir les registres de baptêmes, mariages et sépultures… » ; acte royal édité à Paris le 09 avril 1736. Bibliothèque nationale de France. © gallica.bnf.fr, BnF 

L’application des textes

Les lois édictées par l’Église et le pouvoir royal ne sont pas scrupuleusement appliquées : on note certaines discordances entre les règlements et les registres conservés. Les curés du XVIe siècle ne se conforment pas toujours à l’obligation de déposer annuellement les registres au greffe de leur juridiction. Les registres de baptêmes, série la plus ancienne, sont incomplets : il manque généralement la date de naissance qui devrait figurer en application de l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) et de la déclaration royale de 1736. On sait cependant que les enfants sont baptisés au plus tard deux jours après leur naissance. Plus de chance avec les mariages : dans les registres qui les concernent, figurent souvent ceux de la publication des bans. Quant aux actes de décès, ils sont restés incomplets très longtemps : on oublie de mentionner l’âge du défunt et sa filiation !

Extrait du registre des décès de la paroisse Saint-Sernin de Toulouse, année 1747-1748 ; série Registres paroissiaux, cote GG674, Archives municipales de Toulouse. © Direction des Archives municipales de Toulouse

Extrait du registre des décès de la paroisse Saint-Sernin de Toulouse, année 1747-1748 ; série Registres paroissiaux, cote GG674, Archives municipales de Toulouse. © Direction des Archives municipales de Toulouse 

Les registres paroissiaux contiennent parfois des observations diverses : l’état des récoltes, la température, les maladies, les guerres, les inondations… Ils s’avèrent très riches en informations pour l’histoire sociale, notamment l’étude de l’alphabétisation à partir des signatures des Français capables d’écrire leur nom.

La législation royale reste en vigueur jusqu’à la loi du 20 septembre 1792, qui laïcise l’état civil des catholiques et des protestants et chargent les maires de la tenue des registres. Les curés doivent remettre leurs exemplaires aux maires qui vont les classer dans les archives de la commune et d’autre part, aux archives du département (deuxième exemplaire anciennement déposé au greffe du bailliage ou sénéchaussée).

Agrandissement sur extrait de registre paroissial (décès), 1777-1778, village de Bard (Haute-Saône actuelle). Dans la marge, dessins figurant les décès d'enfants. © Archives départementales de Haute-Saône

Agrandissement sur extrait de registre paroissial (décès), 1777-1778, village de Bard (Haute-Saône actuelle). Dans la marge, dessins figurant les décès d’enfants. © Archives départementales de Haute-Saône 

À noter

Les registres paroissiaux parisiens qui formaient une série continue depuis 1515, et les registres d’état civil antérieurs à 1859, ont entièrement disparu lors de l’incendie de l’Hôtel de Ville et du Palais de justice, sous la Commune de Paris, le 24 mai 1871. Leur reconstitution demeure très partielle, surtout pour l’Ancien Régime.

source : https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/histoire-histoire-naissance-etat-civil-francais-11535/